Si la belle région d’Alsace est connue pour ses vins blancs – aussi variés qu’exquis – il s’agit pourtant de la plus petite région viticole française.
En plus d’avoir su préserver une certaine tradition en termes de production, elle offre des produits d’une grande qualité, qui les années passants, se bonifient, pour le plus grand plaisir des amateurs de bons vins !
L’un des domaines les plus emblématiques de cette région de l’Est de la France – c’est le Domaine Schlumberger. Entre les mains d’une même famille depuis plus de 200 ans, celui-ci est unique.
Présent sur des coteaux vertigineux au sol sableux très pauvre, le domaine offre toutefois des vins d’une qualité exceptionnelle ! Difficilement obtenus et avec une mécanisation très faible, seuls les vins qualitativement irréprochables sont produits.
Ce choix, de conserver uniquement le meilleur des parcelles permet à Schlumberger de garantir des vins d’une qualité constante et proches de la perfection. La promesse d’un luxe à déguster – avec modération bien sûr !
Avec une large gamme proposée par la Maison, impossible de ne pas trouver chaussure à son pieds parmi les Riesling, Kitterlé ou Ressler …
Septième génération de ce domaine familial chargé d’histoire, Séverine Schlumberger a accepté de répondre à nos questions pour nous révéler les plus beaux secrets des grands vins d’Alsace. De quoi nous donner envie de découvrir plus encore ces délicieux vins d’exception !
Rencontre avec Séverine Schlumberger
Pour commencer et recontextualiser pour nos lecteurs, pourriez-vous revenir sur l’histoire de votre vignoble et votre rôle au sein de celui-ci ?
Le Domaine Schlumberger est entré dans la famille en 1810, après que Nicolas Schlumberger ait fait fortune dans l’industrie textile. Il est passé de générations en générations pendant près d’un siècle, comme le reste du patrimoine familial – important à cette époque.
C’est dans les années 1920, que le domaine a pris un essor considérable. Nous sortions de 50 ans d’annexion allemande, du phylloxéra et de la Première Guerre mondiale – particulièrement meurtrière dans la région.
Mon arrière-grand-père Ernest s’est trouvé face à de nombreuses familles désireuses de vendre ce vignoble ravagé. En bon terrien et dans un souci de préservation de ce lieu magique, il a racheté une centaine d’hectares de vignes et replanté l’intégralité.
En 1971, notre père Éric est arrivé à la tête du domaine qui, ayant « sauté une génération » était dans un état d’abandon avancé. Il « a retroussé ses manches » et a intégralement repris l’entreprise en replantant à nouveau la vigne et en développant le réseau de distribution.
Aujourd’hui, mon frère Thomas et moi-même estimons être la génération la plus chanceuse, car le domaine n’avait jamais été en aussi bon état en 200 ans d’existence.
A nous de le faire perdurer et de poursuivre son développement.
Vous représentez la 7ème génération en charge de ce domaine familial, pérenniser un tel patrimoine représente j’imagine un enjeu supplémentaire, une charge sentimentale particulière ?
C’est en effet une forme de responsabilité mais c’est aussi ce qui fait la beauté de ce métier. Nous ne travaillons pas pour nous même mais pour les générations suivantes, cette impression de n’être qu’un relais dans l’histoire nous rend très humain et proche des réalités.
Au vu des difficultés que peuvent traverser notre génération, il est très utile de pouvoir prendre du recul et de placer les évènements dans une perspective historique. Quand on pense que les générations précédentes ont vécu guerres, privations et maladie de la vigne, on se dit qu’une inflation ou une crise économique n’est finalement pas si grave.
Pourriez-vous nous parler de la particularité de votre vignoble, un cas unique en Alsace, notamment grâce à vos 70 ha classés Grands Crus sur quatre terroirs : Kitterlé, Kessler, Saering et Spiegel ?
Le Domaine Schlumberger est tout à fait unique en son genre. 100 ha sur les 130 ha que nous possédons sont sur des coteaux vertigineux (similaires à ce que l’on voit en Côtes du Rhône ou dans le Douro au Portugal). 130 hectares de vigne, cela fait à peu près 850 kms de vignes linéaires : on va de l’Alsace à la Bretagne entre 13 à 17 fois par an !
En plus de la pente, nous sommes sur des sols très pauvres, de sable (un peu comme une dune au bord de la mer). La topographie du vignoble rend son entretien particulièrement difficile avec une mécanisation assez faible.
Mais en contrepartie, on sait que ce qui est difficile à obtenir a d’autant plus de valeur et les résultats qualitatifs que l’on obtient sur un tel vignoble sont tout à fait exceptionnels.
Et puis cela rend l’aventure d’autant plus palpitante ….
Vous faites partie des incontournables des vins d’Alsace, que représente pour vous cette région ?
L’Alsace se trouve être la plus petite région viticole de France et pourtant c’est celle qui dans le monde, offre la plus grande diversité de vins blancs. C’est une région qui a des atouts considérables du fait de sa localisation au carrefour de l’Europe.
Cette région a également réussi à préserver ses traditions, elle semble un peu parfois « figée dans le temps » mais à l’heure où on atteint les limites de l’ultra technologie et de l’ultra rapidité dans tout, je pense que c’est une grande valeur de savoir rester traditionnel et pérenne.
L’Alsace offre-t-elle des opportunités particulières face aux difficultés du marché ? Je pense notamment à la pénurie des Grands Blancs en 2021 ou à la flambée des prix.
En 2021, quasiment aucune région française n’a eu la capacité de produire suffisamment de vins blancs. L’Alsace a bien entendu également souffert de sérieux problèmes climatiques, mais comme la région a tendance à produire davantage que ce qu’elle ne vend, elle dispose de stocks.
Et les vins blancs d’Alsace ont une grande capacité à vieillir et à se bonifier avec le temps. C’est à mon sens, une très belle opportunité pour la pénurie de vins blancs qui se profile. Et une occasion en or pour les consommateurs de boire des vins de qualité à des prix qui restent abordables.
Vous avez fait le choix d’un travail artisanal et manuel, respectueux de l’environnement avec une production limitée et une distribution ciblée, pourriez-vous nous en dire plus sur votre politique de production ?
Pour nous, le vrai luxe, c’est s’offrir la possibilité de ne pas produire tel ou tel vin si la qualité n’est pas au rendez-vous. Au Domaine Schlumberger c’est notre grande force, pouvoir garantir sur chaque millésime (même les mauvaises années) un niveau de qualité irréprochable.
Pour cela, on déclasse certains Grands Crus dans les AOC (55 % du vignoble est en Grand Cru classé mais nous ne commercialisons que 25% de nos vins en Grands Crus), nous gardons le meilleur des parcelles de Grands Crus et le reste va bonifier l’AOC.
Ainsi, nous assurons une qualité constante et optimum pour chaque vin de la gamme. A mon sens, c’est un vrai luxe de pouvoir faire cela en 2022 : ne produire que ce qui est bon ! Et la seule raison pour laquelle nous pouvons le faire, c’est que nous sommes un vignoble familial. Dès que vous appartenez à un grand groupe et qu’il y a de la spéculation, ce luxe devient impossible.
Vous avez une gamme de vins très complète déclinée en 3 gammes, pourriez-vous nous en dire un mot ?
Nous produisons environ 22 vins différents chaque année. Avec les 7 cépages alsaciens dans la gamme AOC appelée « Les Princes Abbés » – 8 vins en Grands Crus sur 4 terroirs et environ 3 vendanges tardives. Plus quelques vins tels que les Premiers Crus ou le rosé.
Nous essayons de garder le maximum de clarté dans la gamme malgré un choix très vaste de vins. Il est donc presque impossible de ne pas trouver au moins un vin que l’on va aimer en Alsace tant il y a de choix.
Vous proposez une très belle gamme de Grands Crus offrant 3 cépages issus de 4 terroirs de Guebwiller, notamment le Riesling, un des cépages les plus anciens et plus nobles, quelle est sa particularité ?
Le Riesling est le fruit qui offre le plus d’acidité, il donne des vins secs sur lesquels la « lecture du terroir » est plus aisée. Je le compare toujours à une pomme : peu importe lo moment où vous le consommez, il aura toujours une belle acidité (contrairement au Pinot Gris qui réagit plus comme une pêche).
Le Riesling est LE vin sec fait pour la table, il s’exprimera davantage à table que seul.
Je compare toujours nos 4 Grands Crus à 4 enfants : nés dans la même famille avec la même éducation mais des personnalités différentes. Notre job va être d’amener ces personnalités à s’exprimer pleinement dans votre verre. Pour moi c’est un vrai travail de joaillerie : ce que l’on peut faire de plus précis en matière de vinification. En cela, l’Alsace est unique !
Pourriez-vous nous parler du processus permettant la création d’un nouveau millésime ? Comment établissez-vous les classements ?
(Sourire). Quelques semaines avant les vendanges, mon frère Thomas organise une réunion de vendanges avec l’œnologue et le chef de culture. Ils établissent un « plan de bataille » en fonction des besoins et surtout de l’état sanitaire de la vigne. Cela me fait toujours sourire car le plan de vendange vole souvent vite en éclat au vu de l’ampleur de la tâche et des conditions climatiques (il y a 850 kms de vigne à récolter !)
Quant au travail en cave, notre œnologue voit chaque millésime comme autant de nouvelles naissances. Un peu comme un père de famille nombreuse qui doit veiller sur tous ses petits … c’est un travail qui demande beaucoup d’humanité et de sensibilité.
Selon-vous, s’il ne devait y en avoir qu’un, quel serait le vin le plus iconique du Domaine Schlumberger ?
Il y a 20 ans, sans aucune hésitation j’aurai dit le Pinot Gris Grand Cru Kitterlé. Les Pinots Gris sont pour moi les vins les plus difficiles à produire et ils sont la signature de l’Alsace (je n’ai jamais rien goûté d’équivalent ailleurs dans le monde).
Avec ce vin, on atteint l’ultime précision de ce que l’on sait faire : un peu comme taillé le plus beau des diamants.
Aujourd’hui, même si le Pinot Gris reste mon cépage de prédilection, mon cœur balance car j’adore également tous les vins du Grand Cru Kessler. C’est mon Grand Cru le plus féminin et les Riesling y sont tout simplement exceptionnels.
Y a-t-il un contexte dans lequel vous aimez le déguster ? Un lieu, un moment, un accord mets/vins ?
Le Pinot Gris Grand Cru Kitterlé est pour moi un vin d’automne, saison que j’adore. Je le sers avec des plateaux de fromage pour un repas dédié aux fromages ou sur une recette un peu plus asiatique.
J’aime aussi le consommer seul devant un bon film ou un feu de cheminée. C’est le vin cocooning, qui met du baume au cœur et qui « console » (à boire avec modération bien sûr !)
Pour finir, chez Icon-Icon, nous nous intéressons aux produits, aux lieux, aux expériences emblématiques, y a-t-il une odeur, un souvenir, un endroit ou même un objet qui ne vous quitte pas ou qui vous a marqué dans votre vie et que vous aimeriez partager avec nous ?
J’ai répondu avec une extrême facilité à toutes les questions précédentes et là j’avoue que c’est plus difficile. J’élimine l’objet directement car je ne suis pas matérialiste et pour moi seules comptes les émotions et les souvenirs.
Les émotions et les souvenirs j’en ai beaucoup, aussi bien comiques que plus tristes.
Le plus marquant c’est peut-être en 2001, lorsque j’ai commencé au domaine. Je me souviens m’être trouvé dans la vigne avec la conviction profonde d’être au bon endroit. J’ai eu la sensation étrange que la vigne me traversait de part en part, qu’elle « coulait dans mes veines » … ce métier est devenu une évidence et je ne l’ai jamais regretté !
Propos recueillis par Sébastien Girard, Président d’Icon-Icon et Saskia Blanc
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