Inspirée des représentations de la crucifixion christique en de nombreux points tels que la lumière ou la mise en scène, la photographie The Piss Christ a pourtant défrayé la chronique. En effet, si Andres Serrano ne dément pas avoir grandi dans un environnement pétri de religiosité, son œuvre à tous points de vue iconique, s’est rendue célèbre par son caractère blasphématoire. Ayant pour habitude de travailler les monochromes, le photographe aime à caractériser son travail en fonction des fluides organiques qui le composent. Ainsi habitué à faire naître l’art par le sang, le lait, le sperme ou encore l’urine, Andres Serrano a connu la débacle lorsqu’il a mêlé l’essence des mortels au domaine des saints. Suscitant débat, le cliché est alors devenu l’une des pièces symboliques de ce photographe profondément croyant : « Mon éducation catholique informe ce travail qui me permet de redéfinir et personnaliser ma relation avec Dieu. Mon utilisation de fluides corporels (…) parallèle à l’obsession du catholicisme avec « le corps et le sang du Christ. » .
Malgré les démentis et les critiques persistantes, le Christ d’Andres Serrano voyage à travers le monde et se heurte à des détracteurs unis sous un même étendard : celui d’une Eglise chrétienne qui refuse cette représentation, qualifiée offensante. De cette façon, l’oeuvre exposée à Avignon, Ajaccio et Melbourne en Australie fait face à de nombreux rejets. En Corse, l’oeuvre suscite des manifestations intégristes en 2014. Elle engendre parfois même la violence à Avignon et à la National Gallery du Victoria, où le travail est attaqué au marteau en 1997 et 2011 : à plusieurs reprises, son exposition est annulée ou suspendue. A Melbourne notamment, si la demande de retrait de l’oeuvre auprès de la Cour suprême australienne est refusée à l’archevêque catholique George Pell, l’attaque au marteau fait craindre aux conservateurs du musée d’autres actes de vandalisme sur l’exposition voisine, accueillant les chefs d’oeuvre de Rembrandt.
Enfin, cet objet liturgique plongé dans l’urine demeurerait avant tout un moyen de dénoncer la commercialisation et la banalisation des icônes chrétiennes, comme le réaffirme l’artiste : « Je n’ai rien d’un blasphémateur, et je n’ai aucune sympathie pour le blasphème ». Selon le photographe, l’utilisation du sang et de l’urine permettraient de se remémorer la passion christique, marquée par la déchéance physique et une réelle souffrance. Parmi les divers théologiens amenés à réagir au sujet de cette œuvre polémique, les avis sont partagés. Si certains dénoncent cette « provocation », d’autres tels que François Boespflug sont plus nuancés. Tout en appelant les chrétiens à « faire le dos rond », il rappelle que l’utilisation de la religion en art – et particulièrement du crucifix – est devenue subversive à l’aube du vingtième siècle : déjà en 1878, Félicien Rops rompt l’existant pacte de non-agression des symboles religieux en représentant une femme ravissante sur la croix à la place du Christ. Invoquant l’existence d’un droit au blasphème sous couvert de la liberté d’expression, l’historien et théologien souligne à juste titre un sujet qui fait encore débat sur la scène internationale. Une préoccupation qui demeure dépassée par la reconnaissance artistique du travail d’Andres Serrano, récompensé en 1989 pour Immersion par le prix « Awards in the Visual Arts » et subventionné par des fonds publics américains.
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