Lacroix, Ungaro Et Versace, Le Réveil de La Couture

Lacroix, Ungaro Et Versace, Le Réveil de La Couture

Ils ont en commun leurs racines du Sud, et un goût immodéré pour les couleurs et l’expérience des textures. Chacun à sa façon, mais à l’unisson, Emanuel Ungaro, Gianni Versace et Christian Lacroix ont réveillé la Haute Couture.

La Flamboyance En Héritage

Ungaro, Lacroix et Versace ont en commun une solide culture historique de la mode, et des références classiques. Si le style de leur maison s’éloigne a minima, on note dans leur couture une rencontre entre histoires, textures et lignes ancestrales.

Emanuel Ungaro, Disciple de Balenciaga

C’est auprès de Cristobal Balenciaga qu’Emanuel Ungaro apprend les maniements de la couture. Auprès du plus moderne des grands couturiers, il se forme au goût des dentelles, de l’ornement et des tissus orignaux…

Mais voilà, avec le renversement des années 60, le jeune Ungaro ne se reconnaît plus dans le couture du seul maître qu’il se reconnaît. En 1965, il quitte la maison Balenciaga et fonde celle qui porte son nom.

L’époque est en effet celle de la jeunesse et du fantasme du futur. Avec Courrèges, autre disciple de Balenciaga, Ungaro va se mêler un peu du design futuriste. Il imagine la ligne A, les gogo-boots blanches et les tops taillés dans le métal.

Mais le futurisme le contraint déjà. Conscient de s’être enfermé dans une ligne esthétique, Ungaro fait un virage à 180 degrés et renoue avec d’où il vient. Bien conscient de servir une nouvelle génération, son premier défilé en 1965 exclut de présenter des robes du soir.

C’est pourtant la coutume en Haute Couture – mais qu’importe. Ungaro atteste: « Ce n’est pas mon style. Je suis un homme de son temps et je vais habiller les femmes de ce temps. »

Riche de l’enseigne du maître de la dentelle et de l’ornement discret, Ungaro va définir sa signature esthétique autour des mêmes codes. Mais avec plus de flamboyance encore ! Il doit ainsi à Balenciaga son amour immodéré pour les lignes très accentuées et les emmanchures profondes. Sa passion, aussi, des robes transparentes coupées dans des dentelles précieuses.

Clairement plus en phase avec l’époque qui prône l’individu, Ungaro va faire de la mode le réceptacle de sa fantaisie. Ayant baigné dans l’atmosphère d’Aix en Provence, Ungaro a une idée précise de ce qu’est la mode… Formes géométriques, textures complexes et couleurs vives… Il le dit lui-même: « La mode, c’est avant tout un artisanat, la recherche d’un style et d’un vocabulaire individuel. »

Christian Lacroix Et Le Costume

On retient aujourd’hui de la mode griffée Lacroix, le luxe et les silhouettes richement brodées. Mais ce qui reste aussi à l’esprit, ce sont ses toilettes théâtrales, indubitablement liées à la fascination de Christian Lacroix pour les costumes. Qu’ils soient de scène ou qu’ils tiennent du passé.

Il va d’ailleurs contribuer à la réalisation de costumes de théâtre et d’opéra. Époustouflants.

Après avoir été le directeur artistique de la maison Patou, Lacroix se lance et, en 1987, fonde sa propre maison. Héritier d’une culture mode acquise autour de l’histoire de l’art et du costume, il va réveiller la Haute Couture autour de valeurs qu’elles semblaient jusque là honnir.

Avec ses jupe amphores (les iconiques jupes pouf), les robes à faux-cul tout droit venues de la Belle-Epoque, et son adoration du vestiaire XVIIe et XVIIIe siècle… Christian Lacroix semble bousculer quelque peu l’apathie dans laquelle se trouvait la couture.

Avec ses couleurs solaires, ces époques qui s’entrechoquent, et l’ornementation fou de ses silhouettes, Lacroix retravaille la simplification initiée et imposée par Chanel.

En opposition totale avec cette vision toute en sobriété, Lacroix va faire vibrer la couture d’une nouvelle foi en prônant le retour du magnifique.

Le rouge, le noir, le blanc, l’or, le bleu clinquant et le rose bonbon — il en est fini du temps où la couture lisait l’élégance et le raffinement dans les couleurs sombres, uniquement

Et puis, Lacroix, contrairement à Chanel ou Balenciaga, n’a pas l’imaginaire puriste d’un couturier monacal. Sa flamboyance, Lacroix l’hérite du Sud. Ses couleurs, son folklore, ses traditions Arlésiennes notamment.

Versace, La Flamboyance A L’Italienne

Chez Gianni Versace aussi, les créations pour le théâtre et la danse ont une influence sur la mode qu’il propose. D’ailleurs, comme Christian Lacroix, Versace versera dans la couture pour l’opéra ou le théâtre.

Fondée une dizaine d’années avant celle de Lacroix, la maison Versace puise son luxe ostentatoire et sa flamboyance dans ses racines du Sud de l’Italie. Mais, doublé d’une maîtrise absolue de la coupe – hérité par l’observation scrupuleuse de l’autodidacte qu’il fut – Gianni Versace peut se livrer à des expériences textiles aussi osées que sublimes.

Excessive et splendide, les créations Versace vont faire briller leur époque. Inspirée de l’héritage antique, du baroque et bercée par le pop art, la maison Versace ne recule devant rien. Et surtout pas la définition Parisienne étriquée du bon goût. Flamboyante, exacerbée et ostentatoire, la mode Versace mêle tout avec une adresse qui fait frémir les rédactrices.

Les corps puissants et dénudés figés par Richard Avedon capturent l’idée dont on se fait de ceux qui s’habillent en Versace.

Imprimés colorés, animaliers, cuir et soie, broderies et métal — rien n’est laissé de côté par le goût de Versace pour l’expérimentation. Et sa maîtrise de la couture lui permet, aussi, de réaliser des silhouettes à la simplicité et au raffinement princiers. Notamment ce tailleur rose, plébiscité par Lady Diana. Il était l’un de ses couturiers favoris.

La Révolution Des Matières Et Des Couleurs

Lacroix, Ungaro et Versace vont faire fi de la sobriété plébiscitée par l’époque, et le bon goût alors en vigueur. Sulfureuse et surchargée, la mode de ces trois couturiers de génie va s’imposer comme l’esthétique des années 80, avant de survoler le minimalisme des années 90.

Le Pionnier Ungaro

Emanuel Ungaro ne tarde à définir sa signature. Une couture extravagante qui, dans la richesse des tissus, associe des imprimés jusque là tout sauf associés. Textures, couleurs vives et chatoyantes vont ainsi venir embraser ses motifs favoris, et notamment le motif animalier.

Ungaro va tenir à la recherche de tissus exclusifs. Sonja Knapp, l’artiste, va réaliser spécialement pour lui certains de ces tissus les plus iconiques. Lui qui se décrit comme une « obsédé sensuel » n’a eu de cesse de travailler ses tissus comme autant de tableaux de ses inspirations.

Mais à la différence disons d’un Yves Saint Laurent qui, avec sa collection Russe, transpose une vision quelque peu littérale. Ungaro, lui, va construire des silhouettes fluides où se superposent chinoiseries et coloris forts contrastants sur des jupes, des drapées de châles à pompons et de minuscules lignes florales… Ondulées dans une débauche de couleurs !

Le folklorique a toute sa place dans la grammaire Ungaro. Mais une grammaire toujours doublée d’un imposant art du drapé. Libérée des contraintes du goût, l’extravagance d’Emanuel Ungaro va ainsi habiller les femmes du monde entier. Et définir tout l’attrait d’une époque pour ce « nouveau baroque », des mots mêmes du couturier.

L’intrépide Versace

C’est dans ce sillage que la couture va voir déferler la tornade Versace. Avec son goût hérité de sa Calabre natale, Gianni Versace va en effet irradier les podiums.

Lui aussi s’attache à introduire des matières innovantes, et des coupes sinon sensuelles, plutôt sulfureuses. Il introduit ainsi la maille oroton en 1982 dans une robe glamour à souhait qui deviendra sa signature.

Des couleurs, aussi ! Flashy, lumineuses et sans retenue. L’utilisation de teintes jusque là honnis en couture fonctionne chez Versace car la maison se double d’une maîtrise de la coupe. D’ailleurs, Gianni Versace ne recule devant rien — ni même la technologie. Il introduit ainsi la coupe laser et insuffle une néo-couture. La fusion entre le cuir et le caoutchouc donne des silhouettes encore plus près du culte d’un corps hérité de l’antiquité.

L’ornementation choque. Mais la pureté des lignes Versace ravivent le goût pour le glamour et l’exubérance qui attirent l’oeil ! Les silhouettes inspirées du bondage ou des punks achèvent de le faire entrer dans la légende.

Intrépide et sensationnelle, somptueuse et référencée, la couture Versace a largement concouru à réveiller la Haute Couture Parisienne — lovée dans une sobriété devenue désuète dans les glorieuses années 80.

Le Maître Lacroix

Et l’autre nom incontournable de cette décennie est bien celui de Christian Lacroix. En véritable alchimiste des époques il va, lui aussi, injecter de la flamboyance et du glamour d’antan, dans une veine haute en couleurs et en matières !

Dans les siècles qu’il a longtemps révéré, Lacroix tire donc les ficelles de la mode des années 80. Velázquez ou Goya ou Cecil Beaton, Lacroix ne fait pas de différence et rassemble toutes ces visions dans sa mode puissante car grandiose.

Corset, buste, crinolines, faux-cul, volumes théâtraux et lignes folles… « Être couturier du Sud, c’est juste être un latin, réagir, penser et travailler avec la mémoire, toutes les mémoires à fleur de peau ! Cela ne signifie pas nostalgie mai une permanente connexion avec le passé vécu au quotidien » explique-t-il.

Le folklore, Byzance, les gitans… Autant d’inspirations qui viennent colorer la Haute Couture. Comme Ungaro et Versace, les couleurs combinées de Lacroix renvoient dans les cordes celles attendues par l’exercice.

Le rouge, le noire, le blanc se mêlent au jaune, au rose, au turquoise, aux pierreries et autres ornementations excessivement fabuleux ! Dans cette exubérance, Christian Lacroix a su capter l’air du temps, où le trop n’est jamais assez. On retient principalement les collection collections Espagnol et Le Cirque. La première pour l’été 1985, la seconde un an après.

En définitive, ces trois couturiers ont amené, par leur audace, la Haute Couture à la couleur. Intégrant à cet exercice hautement codifié des matières et des textures… Une esthétique devenue l’icône d’une époque, que l’on regarde souvent aujourd’hui avec nostalgie. Il est vrai que ce tournant des années 80 a quelque chose de la Byzance perdue.