La Nuit De La Lecture A Travers Les Livres Emblématiques

La Nuit De La Lecture A Travers Les Livres Emblématiques

Du 21 au 24 Janvier 2021, la Cinquième Edition de la Nuit de la Lecture se place sous le signe des partages. L’occasion de revenir sur les livres emblématiques de la littérature, au prisme de l’art de vivre, de la mode et des couturiers.

A l’instar de Marcel Proust. Une figure centrale et transgénérationnelle de la mode, de l’art et du luxe. A La Recherche du Temps Perdu figure souvent dans les trames de ces derniers.

La Littérature Qui Inspira Postures Et Audaces Vestimentaires

Certaines grandes figures de la littérature ont elles-mêmes pris la plume pour écrire ou décrire la mode de leur époque. On pense notamment à Balzac, Baudelaire et Oscar Wilde. Autant de noms illustres qui, à leur tour, ont inspiré à la mode ses postures, et les audaces vestimentaires qui tiennent pour des révolutions !

La Cocotte Et Alexandre Dumas Fils

Publié en 1848, le roman La Dame Aux Camélias d’Alexandre Dumas fils a figé la figure de la courtisane. Inspiré de sa propre histoire d’amour avec la demi-mondaine Marie Duplessis, Alexandre Dumas fils livre ici un monument de la littérature Française. Un livre qui, aussi, inspirera l’un des opéras les plus beaux, La Traviata de Verdi.

De cette figure de demi-mondaine, s’échappe ainsi le récit d’une figure hautement influente sur la mode et le luxe — la figure de la cocotte. L’opulence Epinal de leurs goûts inspira en effet les joailliers, de Chaumet à Boucheron. Et il sera littéralement la locomotive de la Haute Couture naissante !

La Dame Aux Camélias fige alors plus qu’un récit. C’est bel et bien une figure révolutionnaire, égérie avant l’heure de la mode et du luxe, que conte La Dame Aux Camélias. Une figure au centre de la vie parisienne mondaine du XIXeme siècle, qui inspira notamment Karl Lagerfeld pour les collections des Métiers d’Art de Chanel.

Baudelaire Et Oscar Wilde, la Figure Dandy-esthète

Autres monuments de la littérature, Oscar Wilde et Baudelaire ont tous deux incarné, autant que décris, l’importance du dandysme. A l’heure où naissait la société de masse, bourgeoise et monotone, celle-ci transformant les villes en flots d’individus indistincts — Oscar Wilde et Baudelaire ont érigé la figure du dandy-esthète en épitomé du savoir-vivre.

Des mots et des récits à vivre, voici comment définir les oeuvres littéraires d’Oscar Wilde et celles de Charles Baudelaire. Visionnaire, ce-dernier a littéralement inventé le néologisme « modernité » dans Le Peintre de la Vie Moderne. Oscar Wilde, lui, fut le rédacteur en chef du magazine de mode The Woman’s World. On lisait alors des aphorismes aussi grinçants que visionnaires : « La mode est une forme de laideur si intolérable que nous devons la modifier tous les six mois. »

Les Fleurs du Mal de Baudelaire ou Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde servent ainsi tout naturellement de support à la mode des couturiers, puis à celle des designers. Dernier fait en date, la première collection de Kim Jones pour la maison Dior, pour l’Automne/Hiver 2020. Le directeur artistique dotait ainsi l’homme Dior d’un cape brodée à la manière des merveilles dandyesques qu’arboraient ceux de l’époque Victorienne !

Sartre et Camus, la Figure du Beatnik

Si Jean Paul Sartre et Albert Camus ne sont que rarement cités dans les inspirations des couturiers et autres designers, il n’en reste pas moins que leurs ouvrages et leurs philosophies ont pavé la route à l’émergence de la figure du beatnik.

Jean-Paul Sartre dans La Nausée ou encore Huit Clos posait ainsi les bases d’une jeunesse en radicale opposition avec ses ainés. Albert Camus, lui, avec L’Etranger ou encore Le Mythe de Sisyphe, achevait le respect de la tradition héritée.

Dans la mode, cela s’est traduit par l’adoption d’une radicalité à la hauteur du vide existentialiste. Face à société consumériste, la figure du beatnik érigeait ainsi nombre de pièces devenues intemporelles. En opposition au New Look de Christian Dior, qui dominait alors, la marinière, le trench, le béret ou encore le total look noir furent érigés en modèle. Une radicalité que l’on retrouve aujourd’hui dans un luxe très simplifié — le mocassin Tod’s en est peut être l’hérité…

Allen Ginsberg et Jack Kerouac, la Figure du Marginal Alluré

Justement, Allen Ginsberg et Jack Kerouac tenaient eux-mêmes pour être des beatniks. Fers de lance de la beat generation, leurs écrits ont donné naissance à la figure du marginal alluré.

Les conventions n’ont plus grand importance Sur La Route... Cet esprit proto-punk, que l’on nommera aussi ‘l’underground’, se retrouve souvent cité sinon distillé dans nombre de collections… Erigeant des pièces du vestiaire populaire pour en faire un luxe à leur mesure… C’est l’up-cycling gavant l’heure.

Lou Reed dans les années 70

Anti-Fashion, leur écrits sont peut être à comprendre comme le socle sur lequel s’appuiera le mouvement minimaliste des années 90. Avec, pour fer de lance cette fois, Jil Sander, Martin Margiela et Rei Kawakubo.

Jil sander AH 1991

Virginia Woolf et Les Néo-Romantiques

Elle est peut être l’écrivaine centrale du mouvement dit New Romantics — un mouvement esthétique des années 70 qui inspira les designers… dont certains l’ont vécu de l’intérieur.

Virginia Woolf, avec son récit Orlando, a en effet bercé l’imaginaire de designer comme Ann Demeulemeester (qui cite aussi souvent Baudelaire et Alan Poe parmi ses écrivains fétiches) Christopher Bailey ou encore Rei Kawakubo. Parce que Virginia Woolf inspire un vestiaire principalement noir, où redingotes, tabliers et jupons, donnent une leçon maximaliste de mode théâtrale !

Ann Demeulemeester PE 2018

La Littérature, La Mode et La Couture

Quand les auteurs donnent cette fois aux couturiers la trame de vêtements devenus légendaires…

La Petite Robe Noire et Truman Capote

Si la petite robe noire fut imaginée par Coco Chanel dans les années 20, il est intéressant de constater que le modèle le plus cinématographique suit les lignes de Truman Capote. Chanel elle-même aimait à puiser l’inspiration de sa ligne dans les écrits de Zola, Flaubert, Jane Austen, Thomas Mann, Pouchkine, ou encore son grand ami, Jean Cocteau; dont la simplicité des lignes peut faire écho à la couture simplifiée de Coco Chanel.

Mais c’est l’ouverture du film Breakfast at Tiffany’s qui a littéralement ancré la vision d’une Audrey Hepburn chic au possible dans une robe taillée par Givenchy — une petite robe noire éternellement élégante.

Et en ce sens, la silhouette imaginée par Hubert de Givenchy suit le récit fait par Truman Capote, dans ce même livre de 1958: « C’était une soirée chaude, presque l’été, et elle portait une robe noire mince et fraîche, des sandales noires, un tour de cou en perles. »

Faulkner, Fitzgerald et Christian Dior

Pour retracer la couture de Christian Dior, il faut se tourner vers l’opulence des récits de John Fitzgerald, Gatsby Le Magnifique, ou encore ceux de William Faulkner comme Le Bruit et la Fureur. Le couturier était en effet un fervent admirateur de cette littérature épique et flamboyante…

L’onirisme de son grand ami Jean Cocteau a ainsi pu influencer sa vision optimiste et romantique de la femme !

robe dior 1948

L’autre grand écrivain qui a bercé l’imaginaire de Christian Dior, c’est Honoré de Balzac. Le Traité de la vie élégante, qui pose les fondements d’une vie d’art et de beauté.

illustrations orgueil et prejuges, 1894

En lisant Le Petit Dictionnaire de la Mode, écrit par Dior en 1954, on comprend en effet que la ligne corolle et l’opulence des tissus et des couleurs sont aussi à comprendre au prisme de la littérature. Peut-être aussi celle de Jane Austen lui fit-elle rêver à un passé où les robes brillaient d’un artisanat exquis ! A l’instar d’Orgueil et Préjugés

John Galliano pour DIOR PE 2009

John Galliano s’appuiera lui aussi sur ces récits, mais pour mieux en dévoyer le sens de la couture !

Yves Saint Laurent et La Littérature

Yves Saint Laurent consacra toute une collection à ses inspirations littéraires. On y retrouve les romans, récits et poèmes les plus iconiques de l’histoire… Ce fut la collection Haute Couture de l’Automne/Hiver 1980, et elle s’intitulait “Shakespeare et les poètes“.

Traduit dans la divine modernité d’Yves Saint Laurent, on retrouvait ainsi la chemise imagée d’Hamlet. Une robe rouge renvoyant à celle porté par Lady Macbeth dans la pièce Macbeth.

Référence plus onirique encore, ce sont quelques Calligrammes de Guillaume Apollinaire qui se brodaient en couleur or sur un velours noir et violet… Sur un Ensemble dit Apollinaire.

Dans cette collection de 1980, Yves Saint Laurent a aussi rendu hommage au sublime des mots de Louis Aragon dans Les Yeux d’Elsa.

Autre figure clé de l’univers littéraire d’Yves Saint Laurent, le prince des poètes — Jean Cocteau. On retrouve sur une des robes de cette collection un vers issu du poème Batterie. « Soleil je suis noir dedans et rose dehors / La métamorphose. »

L’Univers Littéraire d’Alexander McQueen

En 2010, Alexander McQueen présentait sa dernière collection. Une collection évènement qui a changé la face de la mode. Et ce, pour toujours. Première collection à être streamée en direct, elle est aussi une collection où McQueen explore pour la première fois les impressions tissus en 3D.

Intitulée Plato’s Atlantis, elle était l’interprétation du mythique livre de Platon, l’Atlantide. Mais en version Alexander McQueen !

Les habitantes de l’Atlantide se présentaient ainsi dans des robes courtes à motifs de reptiles… Une prévision apocalyptique du futur écologique du monde: l’humanité est ici composée de créatures qui ont évolué, sorties de la mer. Aux pieds, elles portaient des chaussures devenues des légendes à elles seules !

Autre grand défilé de McQueen, celui de la collection Printemps/ Eté 2001. Il y explorait la notion de folie et le voyeurisme. Une reproduction de l’effet d’un hôpital psychiatrique où les manneuqins, piégés, étaient vus par l’audience. Mais eux ne voyaient rien.

Ceci n’est alors pas sans rappeler la réflexion de Ken Kesey dans son livre La Machine à Brouillard, en 1962. Un roman plus connu sous le nom de Vol au-Dessus d’un Nid de Coucou.

La Dystopie de George Orwell ou Celle de Mary Shelley?

Les derniers défilés de Marine Serre ont-ils puisé leur essence dystopique dans le récit 1984 de George Orwell?

Dans ce même esprit où le progrès semble dépasser l’humanité au point de la détruire, on pense au Frankenstein de Mary Shelley, écrit en 1823…

illustration frankenstein, 1831

Des récits qui détruisent le mythe d’une humanité prospère et en paix grâce au progrès… Bien au contraire, ces dystopies content un monde où le vêtement ne pare plus mais sert plutôt à la survie de l’homme… Une histoire sur les limites humaines en somme.

Mais il faut compter sur Miuccia Prada pour en faire une silhouette plus que désirable ! Pour l’Automne/Hiver 2019, Prada livrait ainsi une vision féminine moins innocente et ambiguë que celle introduite dans le non moins mythique Lolita de Vladimir Nabokov !

Emma Bovary de Flaubert ou Anna Karenine de Tolstoi? Les Femmes Folles d’Amour Aiment Aussi Mode

Manolo Blahnik a souvent cité Emma Bovary, de Gustave Flaubert, parmi ses inspirations. Mais il y a plus encore…

illustration madame bovary, XIXe siecle

Les motifs plumetis, le brocart, la fourrure et la profusion de dentelle — autant d’éléments qui sont merveilleusement décrits par Flaubert ou Tolstoï. Ça et là, ces éléments de couture viennent ainsi s’actualiser sur les défilés des maisons ayant fait du maximalisme XIXème un leitmotiv à leur mode.

On pense naturellement à Dolce & Gabbana, Balmain, ou encore le Gucci d’avant l’arrivée d’Alessandro Michele. Une mode parure et opulente qui met en exergue l’artisanat et le luxe, façon Belle Epoque.

d&g 2015

La Littérature Et Le Parfum

Les écrivains ont longtemps cherché à mettre des mots sur les odeurs et autres arômes qui éveillaient en eux diverses réminiscences. L’inverse est aussi vrai ! Les parfumeurs sont ainsi nombreux à avoir traduit, dans des fragrances devenues iconiques, les histoires, les personnages — en bref, les impressions qu’un récit a laissé sur eux.

Et déjà, le fondateur de Guerlain, au XIXème siècle, s’était attelé à la tâche. Proche des écrivains de son temps, il partageait avec eux le goût d’une certaine vérité, sinon tangible, au moins olfactive.

Ami de Balzac, le fondateur de la maison Guerlain, Pierre-François-Pascal, s’est ainsi vu commandé un parfum par l’auteur de la Comédie Humaine. Balzac était en effet si attaché au réalisme qu’il commanda à Guerlain un parfum pour lui inspirer l’écriture d’un épisode des Scènes de la Vie Parisienne — un épisode centré sur le personnage de César Birotteau, un parfumeur !

L’hériter de la maison, Jacques Guerlain, perpétua à son tour ce lien avec la littérature. En 1933, il édite ainsi un parfum ‘Vol de Nuit’, un hommage appuyé au roman de son ami Antoine de Saint-Exupéry, sorti deux ans auparavant.

C’est encore Jean-Paul Guerlain qui, en 1969, puisera dans l’atmosphère du livre La Chamade de Françoise Sagan, les notes de son parfum Chamade. Sagan qui incarnait en effet toute la fougue de la jeunesse de l’époque, avec l’icône absolue qu’est le livre Bonjour Tristesse, édité en 1954.

Autre époque, et autre nez magistral — Jean-Claude Ellena, le génie olfactif derrière les emblématiques parfums Hermès ! Il confiait ainsi: « Les odeurs représentent pour moi des mots qui vont me permettre de raconter une histoire. Dans Jean le Bleu par exemple, un texte autobiographique sur le passage à l’âge adulte, il [ndlr: Jean Gionot] mentionne que son père, cordonnier, fabriquait des souliers en cuir d’ange. Ce mélange de dureté et de caresses a cheminé dans mon esprit et est devenu Cuir d’Ange d’Hermès. Paprika Brasil m’est venu après la lecture de Tristes Tropiques, de Claude Lévi-Strauss. Mes Hermessence ressemblent à des haïkus, des poèmes olfactifs qui me permettent d’exprimer une idée simple de la manière la plus sophistiquée possible. Enfin, à l’origine de Terre d’Hermès, on trouve Les Métamorphoses, d’Ovide. Gaïa, la déesse mère, m’a donné envie d’un accord boisé, laiteux et terrien… »

Dans les parfums inspirés de la littérature antique, on trouve encore ceux de Paco Rabanne. En 2015, la maison raconte avoir pioché dans L’Iliade et L’Odyssée de Homère l’esprit des dieux de l’Antiquité grecque pour tailler l’image de la femme liée au parfum Olympéa.

Pour Jacques Cavallier Belletrud, le nez derrière les parfums de Louis Vuitton,, c’est la poésie qui éveille en lui les accords de ces jus éminemment oniriques. « J’aime Rimbaud, Baudelaire, Apollinaire, Paul Claudel, Francis Ponge… Turbulences est né des oeuvres de René Char : la simplicité, le sentiment d’une évidence très forte, sublimer une odeur et une situation, rendre onirique une fleur de tubéreuse même dans ses aspects désagréables. »

Autre icône de la parfumerie que l’on doit à un grand nom de la littérature, c’est l’Eau d’Hadrien de la maison Goutal. Celle-ci puise sa sensualité dans le sublime récit de Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien

La maison retrace ainsi l’épiphanie d’Annick Goutal : « Annick avait été subjuguée par ce récit touchée par cette Italie où elle passait tous ses étés. On retrouve sur cette terre la douceur, la passion en demi-teinte de l’empereur. Il y a une telle humanité, une telle tendresse dans ce roman et dans ce parfum que l’un et l’autre sont devenus des classiques. »

A ce propos, c’est surement les Éditions de parfums Frédéric Malle qui tendent à rapprocher plus encore la parfumerie des belles lettres.

Olivia Giacobetti, le nez derrière En Passant pour les Éditions de parfums Frédéric Malle, édité en 2000, expliquai ainsi: « Plus que l’intrigue, c’est souvent un détail qui retient mon attention, qui m’aide à définir le tempérament du parfum, ses couleurs, sa texture, l’émotion qui s’en dégage. La lecture déclenche chez moi énormément de choses. Plusieurs livres indiens, dont La Nuit de l’indigo, de Satyajit Ray, m’accompagnaient pendant que je travaillais sur L’Arbre, une eau imaginée autour du bois de santal. J’ai besoin de la littérature et j’y puise beaucoup de sensations et d’émotions : Gabriel García Márquez pour ses mots pleins de soleil. »

L’oeuvre clé de Gabriel García Márquez, 100 ans de solitude, a inspiré et inspirera en effet plus d’un sublimes !