Poiret, Lanvin Et Madame Grès, Pionniers De La Couture

Poiret, Lanvin Et Madame Grès, Pionniers De La Couture

Paul Poiret a impulsé la figure du grand couturier, et sa griffe. Jeanne Lanvin et Madame Grès ont, elles, impulsé le système de la mode et les grands canons du luxe.

Trois pionniers de la couture dont le travail, la personnalité et l’oeuvre ont posé les bases du fonctionnement actuel de la Haute Couture. Mais pas que…

Paul Poiret, Le Faste Et Les Saisons

Formé auprès de Jacques Doucet et Charles Worth, le premier couturier à imposer les tendances, Paul Poiret avait tout pour établir ce qu’il manquait à la mode: une figure, et une signature.

La Figure Du Grand Couturier

Avant Paul Poiret, Charles Worth fut à l’origine d’un renversement d’une importance crucial. En effet, le couturier de l’Impératrice de France n’est plus là pour exécuter ses ordres de goûts. Au contraire, c’est Charles Worth qui va imposer son esthétique et sa vision aux dames du monde.

A cela, Paul Poiret est venu ajouter la figure du grand couturier. D’abord dans ses inspirations. En effet, Poiret est l’un des premiers couturiers à aller puiser dans d’autres cultures les lignes et l’esthétique de sa couture. On connait évidemment son goût immodéré pour l’Orient, la Russie ou le Japon…

Autant d’inspirations qui semblent aujourd’hui couler de source dans le processus créatif d’un couturier. Mais à l’époque, c’est une première. Le roi de l’orientalisme est né.

Ensuite, Paul Poiret a su investir des champs jusque là ignorer par la Haute Couture. Tout au long de sa vie, il ne va cesser d’innover. En créant par exemple une succursale Paul Poiret pour décorer l’intérieur – c’est la Maison Martine, du nom de sa fille.

Il est aussi le premier couturier à créer un parfum. Il lance sa gamme, baptisée du nom de son autre fille Rosine.

Enfin, Paul Poiret va initier des rituels de la mode désormais commun à tous les couturiers et designers. Il embarque avec lui des ‘sosies’ de Denise Poiret sa femme, lorsqu’il part pour les Etats-Unis. Les sosies ne sont rien d’autres que les premiers mannequins qui doivent ressembler à sa femme. Une beauté qu’il décrit pour Vogue, en 1913: « Mince, brune, jeune, délavée et intouchée par le maquillage ou la poudre. »

Avec son goût du fantasque, du fantastique et du somptueux, il va être derrière les fêtes les plus folles de son époque. Pour promouvoir telle ou telle collection, il n’hésite pas à convier le gotha à des évènements aussi extravagants que marketés… Le plus connu d’entres tous fut baptisée la “Mille et Deuxième Nuits“. En 1911, quelques 300 invités réunis jusqu’au petit matin dans une grande fête jamais à court de champagne et de homard. Il raconte tout et bien plus dans sa biographie En Habillant l’Epoque.

Fort de sa personnalité intrinsèquement liée à sa mode, Paul Poiret généralise la « griffe, autrement dit l’étiquette qui certifie l’authenticité de sa création. Car les copies se multiplient, et notamment aux Etats-Unis… Il crée, en 1914, le Syndicat de la Défense de la Grande Couture Française. Connu aujourd’hui sous le nom de Fédération de la Haute Couture et de la Mode.

En même temps, il développe une série de contrats de licence avec des partenaires Américains – créant ainsi le système de licence dont Christian Dior, notamment, a fait grand utilité.

La Griffe, Paul Poiret

Et il est vrai que le style Paul Poiret est aussi innovant qu’identifiable. Il fonde sa maison en 1903, mais dès 1906 il adoucit la silhouette. Imposant, à l’époque où les femmes se trouvent encore corsetées, une allure plus souple. Il supprime tout bonnement le corset.

Dans un premier temps, les femmes Poiret sont vêtues de robes longues, simples et élégantes… Légèrement ajustée mais surchargés d’ornement ! Et c’est bien là l’attribut premier de la griffe Poiret.

Inspiré de l’Orient, et notamment du Japon, il lance la mode de l’exotisme. La ligne kimono, le turban, l’aigrette, les pantalons de harem inspirés des Ballets Russes…

En collaboration étroite avec un autre artiste de son temps, le peintre Raoul Dufy, il va bousculer les codes couleurs en vigueur. Il met au goût du jour les imprimés audacieux. Et des associations aussi impromptues pour l’oeil de l’époque que sont le violet et le rouge, le orange et le vert.

Ses silhouettes se taillent dans des matières riches et luxueuses. Très orientales, toujours. Paul Poiret travaille à partir de la soie, du brocard, du velours, la fourure… Des textures qu’il taille dans des constructions simples mais riches… La femme Poiret respire dans des silhouettes aérées !

La mode Poiret est aussi pionnière, et notamment avec sa jupe-culotte. Un scandale et un échec, certes. Mais cette jupe-culotte amorce les grands changements à venir. Le pantalon, les femmes actives… Et surtout le sportwear de Jeanne Lanvin.

Jeanne Lanvin, La Mode Pour Enfant, Le Sportwear, Les Années Folles

Jeanne Lanvin fut marquée par la naissance de sa fille Marguerite. Initiant ainsi la mode pour enfant, mais aussi la mode pour homme, Lanvin devient une pionnière. De celle qui accompagne la libération esthétique des femmes dans les Années Folles.

Lanvin, La Mode Pour Enfant

Jeanne Lanvin commence la mode comme modiste. Elle a 16 ans et travaille dans sa chambre de bonne. Très vite, le destin va lui tracer une autre voie. Poussée par la naissance de sa fille, Marguerite, et plébiscitée pour les vêtements qu’elle crée pour sa petite soeur, Lanvin fonde sa maison en 1889.

Au 22 Faubourg Saint-Honoré, Jeanne Lanvin attire à elle les dames de la haute société avec sa mode pour enfant. Là encore, poussée par la demande, elle va réaliser des tenues assorties pour mères et filles. Mais bientôt, elle se consacre aux vêtements de femme.

Inspirée des modèles du XVIIIe siècle, baignant dans l’orientalisme de l’époque initié par les expositions coloniales et le goût de Poiret, Jeanne Lanvin va ainsi développer sa propre signature.

Des robes richement ornées de broderie, des formes puisant aussi dans l’époque victorienne mais plus douces… Les tenues du soir de Lanvin sont exotiques. Taillée dans le satin et le velours, elle imagine au début de la première guerre mondiale la robe chemise.

Une pièce qui devient une référence dans les années 20. Au même titre que sa silhouette la plus iconique, la robe de style. Garnies de broderies et de perles…

Dans les années 20 encore, en 1926 précisément, Lanvin inaugure le département “Tailleur-Chemisier”. Première maison à faire de la mode pour homme et femme donc.

Le Sportwear Et Les Années Folles

Avec Chanel, la maison Lanvin a défini le style des Années Folles. La Garçonne, jeune femme libérée des carcans moraux attachés à son genre, incarne cette époque faite de progrès, de vitesse et d’euphorie.

Elle accompagne aussi la pratique du sport, devenue essentielle à la haute société. Ses robes sport en jersey de laine sont pratique et facilitent le mouvement. Mais elles sont surtout ornées de carreaux, exécutés au fil d’or et d’argent…

Les robes raccourcissent, sous les genoux, droites et fluides. En 1925, Lanvin signe sa robe iconique, épitomé de la mode des Années Folles. Baptisée la “Lesbos”, elle présente le buste long, la taille basse, et un décolleté bateaux.

Au tournant des années 1930, Lanvin continue sur sa lancée et diversifie un peu plus ses activités. C’est le lancement du parfum Arpège en 1937…

Madame Grès, Au Plus Pur De La Couture

A la différence de Poiret et Lanvin, Madame Grès est restée insensible aux tendances. Sa couture incarne la recherche la plus pure dans l’exercice. Certes, avec des incursions exotiques mais toujours dans l’idée de décoller la structure du vêtement.

Madame Grès, La Couture Sans concession

Lorsque Madame Grès fonde sa maison en 1941, elle a déjà beaucoup d’expériences. Après avoir lancé deux autres maisons, elle compte bien faire de celle-ci le laboratoire de la pratique la plus pure de la Haute Couture.

« Je n’écris jamais une robe à partir d’un croquis je drape le tissu sur un mannequin puis j’étudie à fond son caractère et c’est alors que je prends mes ciseaux. La coupe est la phase critique et la plus importante de la création d’une robe. Pour chaque collection que je prépare j’use complètement trois paires de ciseaux » explique-t-elle dans l’une de ses très rares interviews.

Madame Grès est aussi discrète que sa couture est exigeante. Toute sa grandeur se lit dans la construction de ses vêtements. Et quelle construction ! Elle drape et sculpte comme personne le jersey, la soie et la laine… Ses matières fétiches.

Ce qu’elle recherche? Aboutir à des robes, à des manteaux capables de rivaliser avec la justesse de la sculpture grecque. Une élégance simplifiée au maximum, en somme.

Mais la charpente de ses manteaux amples et ses robes n’ont que l’apparence de la simplicité — elle résulte d’une maîtrise parfaite du tissu…

« Au toucher il est possible de connaître l’âme et le caractère d’un tissu, d’une soierie. Lorsque je drape un mannequin d’une soierie, celle-ci réagit entre mes mains et j’essaye de comprendre et de juger ses réactions. Ainsi je donne à la robe que je crée une ligne et une forme que le tissu voudrais lui-même avoir. »

Madame Grès, Le Minimalisme Avant L’Heure

« Je ne suis pas descendue à la rue c’est la rue qui est montée à moi. » Cette parole de Madame Grès peut en effet résumer l’influence qu’elle a eu sur les couturiers et les designers. Considérée comme « the designer’s designers »  autrement dit la première de tous les designers, elle fut clairement habitée par la recherche de l’apparente simplicité.

Elle maîtrise le flou, la coupe en biais, les drapés, les coupes asymétriques… Si ses pièces nécessitent parfois des centaines d’heures de travail chacune, elles brillent d’une aisance naturelle.

Dans les années 50, elle maîtrise les taffetas, les lainages… Ses robes courtes de cocktail présentent un chic salvateur dans leur légèreté. Une délicatesse qui se lit aussi dans des ensembles en flanelle — ravissant !

Madame Grès a ainsi introduit la quête du naturel par la coupe — l’ambition d’un vêtement qui épouse et accompagne le mouvement du corps dans une totale harmonie. Ce sera la quête de nombreux designers après elle, et notamment dans les années 90.

Sans révolution mais plutôt en évolution avec la couture, Madame Grès a développé des lignes enveloppantes. Donnant vie à des somptueuses robes du soir, dépourvues d’ornement mais jouissant d’une sensualité rare ! Toutes d’une extrême pureté.

En conclusion, on peut voir que chacun de ces trois couturiers est parvenu à poser les jalons que la Haute Couture empruntera allègrement. Du maximalisme initié par Poiret que l’on retrouvera chez Ungaro et Lacroix, au minimalisme de Madame Grès, révéré par Balenciaga… Trois profils de génie qu’il faut connaître pour saisir la recherche contemporaine dans la construction du vêtement. Et comprendre l’intérêt du système actuel de la mode.