INTERVIEW : Alléno & Rivoire – À La Découverte D’une Boutique De Chocolat Pleine De Créativité

INTERVIEW : Alléno & Rivoire – À La Découverte D’une Boutique De Chocolat Pleine De Créativité

Installée à quelques pas du quartier très parisien de la rue Clerc, entre-la Tour Eiffel et les Invalides, la boutique Alléno & Rivoire est à l’image de ce qui l’entoure : chic, discrète et chaleureuse.

Plutôt qu’un savoir-faire séculaire, le Chef étoilé Yannick Alléno et le Chef-pâtissier Aurélien Rivoire ont l’audace de s’affranchir des carcans, et de vouloir inaugurer un nouveau chapitre dans l’histoire du cacao.

Ce chocolat, c’est l’élan du cœur, le plaisir de tout (re) commencer. C’est aussi un dialogue, et la suite logique d’une passion commune pour la recherche et le travail des sauces entrepris il y a des années.

D’origine lyonnaise, l’ancienne signature pâtissière du Pavillon Ledoyen depuis huit ans, s’est confiée à Icon-Icon pour nous partager les secrets de création de cette boutique de chocolat d’un genre nouveau – entre luxe, excellence et authenticité.

Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous en dire plus sur votre lien avec le Chef Yannick Alléno ?

Nous nous sommes connus au Meurice en 2012, je faisais partie de la brigade de Camille Lesecq puis de Cédric Grolet. Par la suite, j’ai eu mon premier poste de Chef à Courchevel. J’ai ensuite passé huit années au Pavillon Ledoyen – cela a été une immense étape pour moi, pendant laquelle j’ai énormément appris et pris conscience de beaucoup de choses.

C’est ma relation avec Yannick Alléno au Pavillon Ledoyen qui a fait naître l’idée de Alléno & Rivoire. C’est la suite logique d’un travail de fond qui a été initié ensemble – les choses se sont faites naturellement, car nous apprécions travailler l’un avec l’autre.

Yannick Alléno et Aurélien Rivoire
@Simon Detraz

Comment a commencé ce chapitre Alléno & Rivoire ?

Premièrement, aujourd’hui, la raison d’être d’Alléno & Rivoire, le chocolat autrement, a toujours été de s’éclater dans l’univers du chocolat et de s’amuser autant qu’au restaurant. C’est-à-dire de continuer sur la même lancée de créativité et de ce goût du challenge que l’on aime tant, afin d’apporter de nouvelles choses.

Deuxièmement, nous avons deux principaux piliers qui fondent la maison Alléno & Rivoire : dans un premier temps, la sauce – vous connaissez tous Yannick Alléno pour son travail talentueux autour de la sauce. De mon côté, je me suis appliqué à comprendre tout ce savoir-faire renouvelé, et ensemble, nous avons retranscrit cela en pâtisserie d’abord et ensuite dans le domaine du chocolat. En réalité, c’est la continuité du travail de réforme de la gastronomie française de Yannick Alléno que nous écrivons maintenant ensemble.

Coffret de Ganaches et Pralinés Héritage
@Simon Detraz

Ensuite, Alléno & Rivoire, c’est aussi la confiserie. Nous avons trouvé un moyen de révolutionner le fruit confit, en le conservant sans aucun sucre et sans aucun saccharose. C’est un travail de quatre années et cela est très important, car c’est pour nous, la prise de conscience des attentes du consommateur qui ne veut plus manger autant de sucre qu’avant tout en faisant plaisir à son palais et en prenant soin de sa santé et de la planète en même temps.

Je pense que ce que nous développons, est un cercle vertueux qui fait plaisir à tout le monde. En supprimant le sucre, nous améliorons et nous changeons la dégustation d’un dessert tout en remettant au goût du jour la confiserie. En effet, nous avons toujours regretté que le fruit confit soit devenu un fruit que les gens n’apprécient plus vraiment.

Aujourd’hui, en créant le fruit confit de demain, nous avons ouvert la porte à de nouvelles glaces, de nouveaux panettones, et de nouvelles pâtes de fruits. Et nous avons l’ambition de rajouter une nouvelle page au livre de la confiserie et du chocolat, et de ne plus seulement retranscrire l’héritage de nos ancêtres.

Confit de pêches blanches
@SimonDetraz

Je pense que la confiserie est un héritage important, car l’homme a toujours cherché à conserver ses aliments. Du mois de mai au mois d’août, il y a profusion de fruits que l’on doit bien conserver pour l’hiver. À l’époque, on ne pouvait conserver les fruits qu’avec le sucre. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que noyer de sucre une fraise magnifique, une orange ou un morceau d’ananas soit la meilleure façon de les conserver et c’est la raison pour laquelle nous avons remis cela en question.

Pourriez-vous justement revenir sur le travail autour des sauces ?

Pour Yannick Alléno, le travail des sauces a commencé en 2010. Il dira très haut et très fort que l’erreur qu’on a fait en gastronomie a été d’enlever la sauce de nos assiettes pour des raisons esthétiques et financières. Et que depuis 1990, nous nous sommes trompés, car si nos plats sont, en effet, devenus très esthétiques, nous avons enlevé l’élément le plus important de notre gastronomie française – la sauce.

Commence alors une démarche qu’au départ, j’aperçois de loin et auquel je participerai dans un second temps – ce travail de recherche de cryoconcentration et d’extraction de légumes et de fruits. Il m’a d’ailleurs fallu beaucoup de temps pour m’approprier de nouvelles techniques.

Cela étant, ce temps m’a servi à comprendre l’importance de savoir-faire une excellente sauce. Aujourd’hui par exemple, au lieu de tout cuire ensemble et réduire nos sauces par le chaud comme on avait l’habitude de faire, nous faisons plutôt des cryoconcentrations de tous les produits possibles et inimaginables pour ensuite les assembler, tel un cognac. Cela permet d’être bien plus précis, plus minéral, moins gras, moins lourd et moins salé.

En chocolat, nous considérons la ganache comme une sauce et lorsque nous changeons la manière de réaliser une ganache, nous créons un chocolat autrement, car 85 % d’un bonbon de chocolat consiste en son intérieur.

Et pour le chocolat qui enrobe nos ganaches nous travaillons tout simplement avec le meilleur dans ce domaine, Nicolas Berger. Il source et transforme magnifiquement les fèves. Notre différence est la manière dont nous travaillons nos ganaches, les assemblages d’extractions, de cryoconcentration, l’assaisonnement, que nous ne sucrons pas et que nous émulsionnons sur le meilleur chocolat.
Notre vision d’une sauce chocolatée est la continuité de ce travail que Yannick Alléno a fait sur la sauce. Ce qui me parait évident aujourd’hui, fut une vraie révélation quand j’ai goûté une cryoconcentration que nous avions faite ensemble à Courchevel. Elle était presque trop sucrée au palais – car à l’époque nous avions uniquement cryo concentré une clémentine de Corse. Pour y remédier, nous avons effectué un assemblage avec de la gomme arabique cryo concentrée – et nous avons réalisé un sorbet, un sorbet à base de 99 % de clémentines. C’était tellement gourmand et tellement bon, que nous nous sommes réellement demandé pourquoi nous mettions 30 à 40 % de saccharose dans un sorbet.

Alors, sur mes cinq dernières années passées au Pavillon Ledoyen, nous avons commencé petit à petit à modifier toutes les cartes, et sans nous en rendre compte, nous faisions des desserts entiers sans sucre. Cela s’est imposé à nous au fur et à mesure de nos avancées, nous avons donc continuer à créer des desserts sans sucre et bien entendu sans saccharose, ce fut simplement le fruit de nos recherches. Nous n’avons pas suivi la mode des produits sans sucre, c’était juste la conclusion de tout un travail mené pendant des années.

Est-ce difficile de reprendre un produit emblématique de la confiserie tel que le fruit confit qui est presque une institution ? Comment parvenez-vous à le reprendre en y apportant votre singularité ?

Tout d’abord, cela m‘a pris énormément de temps, car il a fallu enlever le sucre qui est – je pense – le conservateur le plus puissant – avec le sel – que la planète connaisse. Et forcément, enlever le sucre est difficile quand on souhaite conserver à température ambiante. Pendant deux ans, un certain nombre d’ananas y sont passés… Jusqu’à ce que j’aie enfin compris. Tant que je ne maîtriserais pas l’humidité de mon fruit, je n’aurais pas le résultat voulu, car mon but n’était pas d’obtenir un fruit sec.

Lorsque nous avons réussi à stabiliser l’humidité du fruit, nous avons réussi à le conserver et ce sont finalement l’écorce de bouleau et l’eau de bouleau qui nous ont apporté la vraie solution. La première étape est toujours la cryoconcentration du jus propre du fruit, en extrayant l’eau du fruit sans le faire chauffer. La deuxième étape est la stabilisation de l’humidité avec de l’eau de bouleau et l’écorce de bouleau, un antiseptique naturel n’ayant pas de glycémie et un pouvoir sucrant.

L’eau de bouleau comporte tout ce que je recherche : un côté gourmand, car l’écorce de bouleau a un pouvoir sucrant, un produit bon pour la santé sans le saccharose et avec un indice glycémique très bas et un produit qui conserve. C’est également un antiseptique naturel, 100 % bio et pur, encore méconnu dans l’univers gastronomique, mais très connu en pharmacie.

Après avoir réuni tous ces éléments, nous étions sur la bonne voie pour enfin obtenir ce que nous voulions. Il a fallu une grande batterie de tests m’ayant demandé beaucoup de temps et de patience. J’ai observé, analysé, refait différemment, observé à nouveau, tout cela représente trois ans de travail.

Confit de fruit
@SimonDetraz

Nous en sommes très fiers tous les deux car c’est un sujet qui nous a vraiment passionnés. Pendant ces années, Yannick Alléno venait me voir en pâtisserie dès qu’il pouvait et nous discutions de cela pendant des heures, comme deux amis qui se retrouvaient autour d’une même passion. C’était un vrai challenge pour moi et j’étais très excité par ce projet, à tel point que je venais même mes jours de repos pour voir si mon ananas avait évolué – cela m’obsédait dans le bon sens du terme.
De plus, je trouve qu’il y a une parfaite cohérence avec les préoccupations écologiques et les mouvements qui visent à protéger notre planète. En réalité, travailler le fruit en saison et en circuit court, en pleine maturité, sans énergie et sans sucre est ma réponse gastronomique à l’écologie.

Nous sommes une entreprise ambitieuse, car nous nous sommes tout de suite installés avec une très belle adresse, nous avons tout de suite dit haut et fort que nous avions beaucoup d’ambition.

Rappelez-vous que le premier texte écrit sur la confiserie, date de Nostradamus en 1550. Et depuis, cela n’a jamais été remis en question. Et aujourd’hui, le but est d’ajouter nos propres pages à ce livre magnifique en disant, qu’en 2022, nous considérons toujours les fruits confits comme importants, néanmoins, nous ne pouvons plus nous permettre d’arriver à un produit final avec plus de 50 % de saccharose et de ramasser les fruits à 60 % de leur maturité pour qu’ils restent jolis en vitrine. Nous préférons qu’ils se détériorent visuellement et qu’ils aient 100 % de leur potentiel gustatif.
Aujourd’hui, telle est notre ambition.

Pourriez-vous nous parler de la collection Plaquettes Terroirs ?

Nous collaborons avec la Maison Hennessy, car ils comprennent nos attentes et nos challenges. Nous étions tous surexcités – Renaud Filloux de Gironde, Yannick Alléno et moi-même – de créer cette Plaquette pensée en parfait accord avec le cognac.

Renaud Filloux de Gironde est le Maître Assembleur d’Hennessy et pour moi, il est le boss de la maison Hennessy en termes de nez, de palais et d’expertise. Lorsque vous parlez avec lui, un repas qui est censé durer trois quarts d’heure, peut finir à quinze heures trente, car il ne cessera de partager son savoir et c’est extraordinaire d’y avoir accès.

Son approche est assez complémentaire avec le nôtre, car nous mettons aussi en avant des terroirs viticoles français par amour pour le vin et le chocolat, une passion commune qui nous inspire des accords audacieux. Le design des Plaquettes représente d’ailleurs la coupe de sol du terroir en question. 

Coffret Cognac & Chocolat

Ici encore, la garniture de la Plaquette représente 85 % et est donc beaucoup plus importante que le chocolat qui l’entoure. Ce qui est fondamental lorsqu’on souhaite créer une Plaquette en accord parfait avec le champagne notamment. En effet, quand vous parlez à Benoît Gouez (maître de caves de la Maison Moët & Chandon) et que vous lui dites que vous voulez faire une tablette de chocolat qui fonctionne avec le champagne, il vous répond tout de suite, que le chocolat ne fonctionne pas avec le champagne : le chocolat est gras et sucré, éléments dont le champagne n’a pas besoin. Notre recette pour cette Plaquette a été de garnir le chocolat de tout ce qui sublime le champagne : nous sommes allés chercher l’iode de l’algue de nori, le praliné du marc de saké ou encore la fermentation de la levure boulangère. Puis nous avons cherché la vivacité du gingembre, car elle répond à celle du champagne.

Une fois que nous avions nos premières Plaquettes, je suis reparti à Reims pour une dégustation avec Benoit Gouez. Non seulement ce dernier a apprécié les saveurs, mais il a surtout reconnu que l’association de ce chocolat avec le champagne fonctionnait. Tout en assurant que seul notre Plaquette fonctionne avec son champagne. 

Nous pouvons imaginer des tablettes millésimées avec un Cheval Blanc, un Dom Pérignon, un Dom Ruinart ou un château Yquem car cela fait partie de la maison, envisagez-vous ce genre de choses dans les années à venir ?

Nos clients sont très demandeurs de ce genre d’expérience, car une Plaquette accompagnée d’une bouteille de champagne fait un cadeau tout à fait original. Il peut effectivement y avoir des millésimes de plaquettes ou autres, car ma seule limite est ma créativité. Pourquoi ne pas traverser un jour les Alpes et aller chercher un Barolo et en faire une Plaquette d’inspiration italienne.

Nous avons de très grandes maisons de vin qui s’intéressent à notre travail et aimeraient avoir leur propre Plaquette. Pour nous, cet engouement est très flatteur et stimulant.

Mon but est de mettre notre identité dans tous nos produits, à travers notre praliné sans sucre, notre sauce chocolatière minérale, nos fruits confits ou encore nos Plaquettes.

Avez-vous des éléments que vous souhaiteriez rajouter ou que vous voudriez que l’on retienne ?

Pour moi, les deux principaux piliers sont la sauce et le travail du sans sucre. Au-delà il y également la remise en question face à notre environnement – pas uniquement notre planète, mais aussi nos consommateurs et nos enfants. Aujourd’hui, nous devons nous nourrir différemment, pourtant nous gardons encore nos habitudes de bon gastronome. Je souhaite ce changement, car c’est pour moi un vrai cercle vertueux qui fait du bien à tous sans perdre le plaisir et la gourmandise. Nous avons enlevé le sucre, mais pas la gourmandise.

Je pense qu’aujourd’hui, il faut se poser les bonnes questions, à savoir, comment faire évoluer la gastronomie française en 2022 afin qu’elle reste à son apogée et qu’elle soit innovante.

Auriez-vous une expérience que vous avez vécue ou que vous aimeriez vivre un jour ?

Aujourd’hui, j’aimerais me couper en deux pour pouvoir voyager à longueur d’année. Les marchés typiques en plein cœur de Séoul m’ont assez dépaysé et marqué. Cela va de pair avec cet esprit de créativité et je pense que le voyage nourrit toutes mes idées. Le dernier en date était entre les deux confinements et durant ces dix jours, j’ai pu aller dans les marchés typiques où les grands-mères font des spécialités coréennes et c’était vraiment extraordinaire, je n’y ai passé que trois heures, mais j’ai eu l’impression d’y n’être resté que dix minutes.

Propos recueillis par Sébastien Girard

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