INTERVIEW : Sheherazade Lesueur, Fondatrice d’AtelierFH Pour Un Soulier de Luxe Engagé

INTERVIEW : Sheherazade Lesueur, Fondatrice d’AtelierFH Pour Un Soulier de Luxe Engagé

Si aujourd’hui la mode compte parmi les secteurs les plus polluants pour notre planète, la production de chaussures est à elle seule responsable d’un cinquième des émissions de CO2 générées par l’industrie de l’habillement. Partant de ce constat, Sheherazade Lesueur – passionnée de mode et femme engagée – a souhaité fonder AtelierFH, une marque à son image : des chaussures d’occasion durables, abordables et intemporelles, en phase avec l’avenir de la consommation. 

Le mot d’ordre d’AtelierFH est simple : démocratiser la chaussure de seconde main – de qualité – pour un véritable luxe durable. Les ateliers sélectionnent ainsi soigneusement des modèles intemporels et de qualité pour offrir à ces souliers une seconde vie – tout en rompant avec le mythe d’une chaussure d’occasion parfois usée et peu hygiénique. 

A l’inverse, AtelierFH propose des souliers, issus de grandes maisons telles que Celine, Prada ou encore Isabel Marant. Et n’est-ce pas justement cela le vrai luxe ? Prendre le temps, le temps de trouver sa paire idéale, de lui offrir une vie plus longue, de découvrir son histoire, de la transmettre, d’en conserver des émotions, des souvenirs liés à cette chaussures – une madeleine de Proust en somme ! 

Disponibles en ligne, les souliers d’AtelierFH seront également à découvrir à partir du 15 septembre prochaine au 7ème ciel, l’étage du célèbre Printemps dédié aux marques engagées et à l’upcycling – de quoi lier luxe et écoresponsabilité !

Rencontre avec Sheherazade Lesueur

Pour commencer, pourriez-vous revenir sur votre parcours jusqu’à la création d’AtelierFH ? 

Née à Paris, j’ai fait mes études à la Sorbonne en Sciences Économiques puis en Ressources Humaines (RH). J’ai ainsi commencé ma carrière en Ressources Humaines – du recrutement à adjointe RH – puis j’ai pris des postes de leadership en RH à l’international au Moyen Orient, à Paris puis à Zürich pour Air France, Alstom Transport puis General Electric.

Je me suis également investie dans l’égalité femmes-hommes en entreprise, et l’inclusion de manière plus générale.

Il y a 3 ans j’ai eu comme un réveil, j’avais envie de faire autre chose. Il manquait quelque chose à ma vie. J’ai alors commencé par partir au Rwanda puis j’ai monté une association avec deux amis pour aider des jeunes filles déscolarisées et une école proche de la frontière du Congo.

J’ai suivi des cours en ligne pour mieux comprendre les ODD (objectifs de développent durables définis par l’ONU). J’ai assisté à différentes conférences, évènements sur la durabilité et je me suis formée. J’ai alors compris que j’avais envie de consacrer 100% de mon temps aux sujets de durabilité : environnement, égalité femmes-hommes. 

J’avais envie de contribuer à mon niveau à faire avancer les choses dans ce domaine.

En parallèle je me suis investie à monter la branche suisse de Women In Tech.

Sheherazade Lesueur

Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans ce projet ? 

Je sentais que j’avais envie de lancer mon propre projet et de transmettre mes connaissances sur la durabilité. J’avais moi-même déjà entamé ma transition, et j’avais envie d’inspirer d’autres personnes à changer leurs habitudes au quotidien.

D’après moi, c’est une question de changement, de changement de nos habitudes. Mais changer n’est pas simple.

J’ai travaillé sur plusieurs idées et j’ai gardé AtelierFH qui me parlait le plus car j’ai toujours adoré la second hand et que j’aime la mode.

En quelques mots, pourriez-vous nous expliquer le concept d’AtelierFH ? 

Ce sont des chaussures seconde main que nous sélectionnons et que nous faisons restaurer par des artisans cordonniers. Nos chaussures sont ensuite comme neuves.

L’objectif est de donner envie aux client.es d’acheter des chaussures de seconde main plutôt que du neuf. Elles sont souvent réticentes à cause de l’hygiène (chaussures déjà portées) et de l’aspect usé des chaussures.

Vos ateliers sont basés en Suisse, pourquoi ce choix ? Pourriez-vous justement nous dire quelques mots sur le travail de reconditionnement au sein de ces-derniers ? 

Je vis à Zürich. L’idée m’était venue en avril 2020. J’ai profité du confinement pour interviewer des cordonniers en France et en Suisse. J’ai visité un cordonnier en France mais finalement il m’a semblé plus pertinent au début que je sois proche des artisans avec qui j’allais travailler.

Le travail de restauration consiste à :

D’abord nettoyer la chaussure à l’intérieur en la désinfectant avec une machine à vapeur chaude puis manuellement 

Puis nettoyer la chaussure à l’extérieur et la cirer, réparer un talon, nettoyer la semelle ou la remplacer lorsqu’elle est en mauvais état. Cela peut être aussi changer un élastique sur une bride, réparer le cuir quand il y a des accrocs etc. 

Vous privilégiez des modèles intemporels et de qualité, comment parvenez-vous à les collecter ? Comment les sélectionnez-vous ? 

J’adore chiner. Et les personnes peuvent aussi me vendre leurs chaussures digitalement en allant sur le site via le formulaire « sell to us »

Vous parvenez ainsi à proposer des modèles de grandes Maisons – Prada, Celine ou encore Marc Jacobs pour ne citer qu’eux – pensez-vous justement que l’avenir du luxe soit dans la seconde main et le reconditionnement ? 

Nous avons produit et nous continuons de produire beaucoup trop. Nous vivons dans un monde où la croissance est reine et on nous donne sans cesse envie d’acheter. Lorsqu’on achète des pièces de qualité, nous pouvons les faire réparer.

De plus, la mode est un éternel recommencement : n’est-il pas plus plaisant de se procurer la petite jupe Balenciaga d’une ancienne collection plutôt qu’une pièce neuve ?Je crois que les marques l’ont compris, c’est pourquoi certaines se sont associées à des sites de seconde main reconnus comme Vestiaire Collective. 

Je crois aussi que la seconde main est une manière de découvrir une marque, son histoire. Et le reconditionnement est un bon moyen de fidéliser ses client.es.

Quelle est justement votre définition du luxe ? 

Le temps c’est cela le luxe. 

Dans nos vie effrénées, nous sommes à la recherche de plus de temps : le temps de prendre soin de soi, le temps pour se voir, pour s’appeler, le temps de ne rien faire. Et ce temps s’applique aussi aux objets qui nous entourent.

Je fais le lien avec le matériel : attendre avant d’acheter, trouver la bonne pièce, être patient. Et un objet qui dure dans le temps c’est le luxe. Un objet, une pièce que l’on va transmettre. Il y a une histoire derrière chaque pièce et cela suscite des émotions. Il y a un côté madeleine de Proust. Ce luxe du temps ne peut exister que si la qualité est au rendez-vous. 

J’adore le vintage. Que ce soit dans la déco, les vêtements, les accessoires, ces pièces durent longtemps, se réparent, et sont d’une grande qualité.

Avez-vous une pièce fétiche que vous êtes parvenue à reconditionner et que vous appréciez particulièrement dont vous aimeriez nous dire quelques mots ? 

Je crois que c’est une des toutes premières paires : une paire d’escarpins en cuir noir et incrusté de pierres de chez Isabel Marant. Je ne peux pas dire que c’est une pièce fétiche mais elle m’a marqué.

Elles avaient vraiment l’air usé, on pouvait voir qu’elles n’avaient pas été entretenues. De plus, il manquait une pierre. Il fallait que je trouve la même couleur de pierre, la même taille puis que le cordonnier puisse la fixer. Cela m’a un peu angoissé mais nous avons réussi. Un bon nettoyage, talons et semelles refaits. Elles sont redevenues comme neuves !

Vous serez dès la rentrée présents au Printemps, à l’étage dédié aux marques engagées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? 

A partir du 15 septembre prochain, AtelierFH sera présent à l’espace 7ème ciel du Printemps Haussmann à Paris et cela pendant 2 mois.

Le 7ème ciel a été inauguré il y a un an. Il s’agit d’un espace dédié à la circularité qui met en avant des marques de mode, d’accessoires, des maisons engagées dans l’upcycling et la seconde main. 

Je suis ravie et excitée de pouvoir présenter la collection, rencontrer les clients, partager notre histoire dans ce lieu unique. L’endroit est magnifique. 

Avez-vous des projets futurs dont vous aimeriez nous parler – peut-être l’envie de décliner le concept sur d’autres types de produits ? 

Pour le moment je reste concentrée sur les chaussures. Ce que j’aimerais, c’est pourvoir sauver davantage de chaussures, en réparer plus et donner l’accès au savoir faire de la cordonnerie et de la réparation à des personnes exclues de l’emploi.

L’aspect social est important pour moi et ne peut être dissocié de l’aspect environnemental. Actuellement, je reverse 2 CHF par paire de chaussure vendue à Momentum. J’aimerai faire plus.

Pour terminer, que souhaiteriez-vous dire aux consommateurs sceptiques, encore réticents à sauter le pas de la seconde main ? 

Revenir à la notion du temps. Aujourd’hui, l’offre de seconde main se multiplie et c’est une bonne chose. Il faut trouver sa boutique en physique ou le shop en ligne dont on aime le style. Pour autant, nous n’achetons pas en seconde main comme nous achetons du neuf. Cela prend plus de temps de trouver la pièce que l’on recherche. Il ne faut pas désespérer et essayer de ne pas céder à la tentation de l’acheter en neuf. 

Acheter en seconde main procure encore plus de plaisir que d’acheter en neuf, se dire qu’on a trouvé la pièce unique est jouissif et à un prix compétitif encore plus ! 

Ceux et celles qui trouvent que cela sent la naphtaline ou sont réticents à cause de l’hygiène, peuvent toujours nettoyer les vêtements par la suite. Je le recommande de toutes façons – et pour l’achat en neuf également.

Et pour les shoes, vous savez désormais que chez AtelierFH les chaussures sont reconditionnées ! Acheter en seconde main permet d’avoir une pièce que son voisin.e n’a pas. C’est plus fun et c’est un acte écologique !

Propos recueillis par Sébastien Girard et Saskia Blanc 

Laissez une réponse

Your email address will not be published.