Le Requin, par Damien Hirst

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Tout a commencé avec une commande passée par Charles Saatchi –  nous sommes au début des années 1990, et le magna de la pub, grand collectionneur d’art, demande une œuvre à Damien Hirst. L’homme lui verse alors 50 000 livres pour réaliser le sanctuaire inspiré d’un requin. Ce sera le premier d’une longue série d’animaux sacrifiés sur l’autel de l’art. En 1991 donc, Damien Hirst demande à des pêcheurs Australien de capturer et tuer un requin d’origine, une bête de 4,25 mètres. Le requin-tigre, qui a coûté 28 000 livres, avancés par Saatchi, a ainsi voyagé durant des mois dans un cargo spécialement équipé – et, un beau matin, congelé, l’animal débarque sur les bords de la Tamise. En 1992, l’œuvre est pour la première fois exposée à la Saatchi Galerie de Londres. Choc, consternation ou fascination, l’œuvre est en tout cas rapidement devenue emblématique de la stratégie de provocation chère au cercle des Young British Artists. « Il est devenu le logo de l’Angleterre des années 1980 » raconte Gordon Burn, critique au Guardian. « On le voit partout : dans des caricatures politiques aussi bien que dans la publicité. » Une icône est née.

Mais Damien Hirst est bien plus intéressée par la mort que par le scandale – un phénomène qui vient finalement naturellement lorsque l’on touche à un tel sujet. « Je voulais faire de l’art qui soit plus réel, qui évoque vraiment la nature humaine. Je souhaitais installer un vrai requin dans une galerie plutôt que de le peindre sur une toile ou en projeter des images. Il fallait cette brutalité. Peut-être ai-je trop vu “Les dents de la mer” ? » ironise-t-il. En réalité, Hirst a plongé le requin-tigre dans près de 850 litres de formol afin de questionner sur la mort, notamment celle d’une créature qui effraie l’homme comme nulle autre. « J’aime l’idée d’utiliser une chose pour décrire un sentiment » en l’occurrence l’obscénité de la mort. Chacune des œuvres de Damien Hirst pousse en effet à questionner la mort – tentant, parfois, de lui donner un visage mais nous forçons, toujours, à la regarder bien en face. « Nous n’aimons pas être mis en face de notre propre décomposition » ajoute-t-il. Mais ces œuvres dégagent réelle beauté – celle de la vie figée dans des teintes vert-bleuté.

Mais voilà qu’une quinzaine d’années plus tard, l’animal s’est décomposé. « Il ne faisait plus aussi peur, se souvient l’artiste. On voyait bien que ce n’était pas un vrai. Il n’avait pas de poids. » L’artiste britannique reprend alors son travail – une expérience quasi-scientifique qui a nécessité l’intervention de spécialistes, dans d’anciens hangars Britanniques de la Seconde Guerre Mondiale.  L’idée : remplacer le requin-tigre en décomposition. Un autre requin fut alors chassé et, lors de l’intervention, l’air ici était si toxique que le site fut fermé par des portes d’acier avec code d’accès. Personne, pas même l’artiste, n’était autorisé à aller voir le requin sans tout un attirail de protection. Après avoir réinjecter du formol à-même les veines de l’animal, l’œuvre a pu retrouver son nouvel acquéreur, qui, pour la somme de 12 millions d’euros, s’est offert l’une des œuvres les plus emblématiques de ce début de XXIe siècle.

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