INTERVIEW : Lou Carter, Galerie d’Art

INTERVIEW : Lou Carter, Galerie d’Art

La galerie d’art Lou Carter offre actuellement une double exposition dans son espace immersif de la rue des Saints-Pères, Paris 7ème. Une double exposition rapprochant les artistes Helene Durdilly et Marina Declarey — la première, peintre spirituelle tout en texture et traits graphiques ; la seconde, offrant une vision épurée et proche du romantisme-noir du design intérieur…

Rencontre avec la galerie Lou Carter. 

Votre galerie d’art est un espace intime, proche du cabinet de curiosités. Parlez-nous un peu de la sélection de Lou Carter ?

Les mises en espace qui introduisent les artistes que je représente sont très intimistes, narratives voire – pour certains visiteurs – sous éclairées (!). C’est pour cela que je parle de collections plus que d’expositions collectives d’ailleurs.
La galerie est une boîte noire intégrale. C’est un choix curatorial. D’abord parce qu’elle permet de s’ancrer dans une sorte de confidentialité, une sorte de projection plus directe de l’œuvre pour l’acquéreur. Une intimité pour le visiteur, aussi.

Finalement, je la présente comme dans un espace presque « privatisé ».

Je reprend les sophistications que permettent la galerie en appartement, mais dans mon contexte : sur cour, discret, improbable, confidentiel.
Joue aussi la polyvalence des artistes qui sont exposés. Ici un peintre en dialogue avec l’objet d’exception d’un designer, là de la joaillerie, un sculpteur, un photographe aussi pour les collections à venir…

Ce minuscule parcours présente différents talents sur peu de surface ce qui en fait une sorte d’écrin.

Chaque collection est pensée pour que les artistes se rencontrent soit dans leur processus, leurs techniques, leurs correspondances esthétiques aussi parfois, l’excellence de leurs savoir-faire toujours.

Une galerie d’art pour faire dialoguer les arts.
Qu’aimeriez-vous que les visiteurs, les collectionneurs retiennent de leur passage chez vous ?

C’est drôle de dire faire dialoguer les arts car à mon sens une galerie d’art, un musée ou n’importe quel type de lieu d’exposition est le domaine de dialogue avec l’art en général, non ?
Chacun de nous offre ce dialogue justement, entre le créateur et le visiteur.

Ce que l’on retienne ? Une expérience narrative. Du moins je l’espère.
Car mon enjeu personnel est de montrer l’impératif du contexte pour l’oeuvre.
Une sorte de destitution de sa valeur économique au profit de son histoire peut-être. De comment, une oeuvre ou un objet d’art prend toute sa dimension, son éclat quand il discute avec son environnement. Ce qui vaut évidemment pour l’espace privé. Cela peut aller des objets personnels jusqu’à la couleur d’un mur etc…
C’est un peu comme le vêtement finalement. Rien de plus triste qu’un complet haute couture assortis à la chemise du même créateur. Ce qui compte ce sont les assemblages, leur dialogue commun ; un t-shirt défraîchi flatte la pièce haute de gamme. L’ensemble devient plus raffiné.
Ici, c’est un peu pareil mais avec des talents, différentes spécialités rassemblées. D’où des décors pensés avec des objets du quotidien ou désuets.

Avez-vous pensé à développer ce projet ailleurs qu’en galerie ? Ou au service de collectionneurs par
exemple ?

C’est ici qu’est l’enjeu oui.
J’ai déjà eu l’opportunité de développer cette mise en relation avec la collection d’un privé.
Aujourd’hui c’est un vrai challenge que de l’imaginer pour des hôtels ou en collaboration avec des architectes d’intérieur, des maisons d’édition par exemple.
Nous concevons actuellement cette configuration en appartement avec le designer et entrepreneur des métiers d’art Pierre-Yves Guenec basé entre New York et Paris. L’idée est de développer une sorte de dîner collection périodique où l’objet d’art compose l’essentiel du décor. Ce que j’avais d’ailleurs proposé pour l’ouverture de la galerie en 2019, avant l’épidémie.
Ce serait une manière d’augmenter la visibilité de mes artistes tout en rassemblant une sélection pointu et d’excellence de savoir-faire ; là où, avec Pierre-Yves Guenec justement, nos réseaux respectifs opèrent.

Au travers de mes collections qui s’étoffent avec le temps, j’aimerais avoir la chance d’une narration de plus en plus fine entre les artistes, de plus en plus raffinée et complète.
Développer une expertise en présentant des créateurs talentueux, ciblés sur des zones géographiques précises, et des thématiques de plus en plus léchées.

L’exposition actuelle est une double exposition consacrée aux artistes Hélène Durdilly et Marina Declarey. D’un côté la peinture de l’autre le design… finalement séparer les deux disciplines n’a que peu de sens ? Comment s’est articulée la rencontre entre ces deux univers artistiques ?

L’exposition actuelle présente en fait cinq créateurs. Autour de Hélène Durdilly & Marina Declarey.
Le sculpteur Victor Guedy que j’ai exposé sur la précédente édition et avec qui je développe notamment des pièces de joaillerie en édition limitée. Le designer CARM que j’exposerai au printemps 2023 et Jean- François Hallier sur une série de lampes.

Autour d’elles, car elles sont le centre de cette collection.
Hélène Durdilly est une peintre abstraite qui a débuté sa carrière dans les années 70. Elle m’a captivée par la pudeur absolue du sujet de ses toiles, une forme d’instantanés, nostalgiques. Marina Declarey est une designer éditée par la maison d’excellence Brimbois, dirigée par Guillaume Chevalier.
Son travail du bois est aussi sensible qu’il est brutal.

Sur chaque collection, je recherche un point de convergence entre les artistes, c’est inhérent à ma façon de travailler l’espace tout autant que pour développer une narration circonstanciée. Et ces deux artistes se rencontraient sur une évidence : la peau. Dans sa manière d’appréhender les toiles, de les inciser pour Hélène Durdilly et l’exigence des finitions de Marina Declarey qui donne au bois une texture cuir.

Dès lors que nous parlons de collection cela ne fait plus vraiment sens de séparer les disciplines. Toutes deux se révélant à l’endroit le plus fort de leur processus.

Quel rapport entretenez-vous avec l’oeuvre et la posture du maître de l’outre-noir qui vient de nous quitter ?

C’est surtout la manière d’aborder la lumière dans l’espace qui m’inspire chez Soulages. Il faut préciser qu’avant de devenir galeriste, j’ai une carrière de danseuse à laquelle j’ai dû mettre fin précipitamment à la suite d’une blessure.
J’en ai conservé certains principes fondateurs, notamment dans ma manière d’appréhender l’espace d’exposition aujourd’hui – qui est naturellement influencée par la boîte noire qu’est la scène.

Avec le maître, je partage la même conviction pour la puissance révélatrice du noir. J’y vois également une transparence, une capacité à intensifier le détails. Comme le mouvement l’est sur scène finalement. Il m’a d’ailleurs été demandé par un de mes collectionneurs de lui peindre chez lui le même noir brillant que celui de la galerie pour une oeuvre qu’il venait d’acquérir. J’en ai depuis fait un stock (!)

Plus sérieusement, il y a ce rapport optique qui me fascine et que l’on ne retrouve pas dans le blanc. Le noir isole. Et à mon sens il révèle une oeuvre d’art. Sa matière et sa lumière. Je porte une attention rigoureuse à la lumière. Presque maniaque.

Chez Icon-Icon nous aimons les petites histoires personnelles qui marquent et inspirent… Avez-vous un moment iconique, une rencontre avec une œuvre ou un artiste emblématique qui vous accompagne aujourd’hui encore dans la réalisation de votre travail de galeriste ?

Ce n’est pas tant un artiste ou une oeuvre qui m’accompagnent au quotidien.
Ce serait plutôt une figure singulière de l’histoire de l’art – ces fleurs exceptionnelles qui ont poussé sur un tas de fumier.

Elles peuvent m’être d’un grand secours : complaisantes dans les périodes de doutes, moteurs dans les périodes submergeantes. Naturellement, je citerais Peggy Guggenheim.
Cette femme est une figure qui m’apaise autant qu’elle m’inspire. M’apaise par une histoire de famille fumeuse, m’inspire par ce qu’elle a su défier sa grande sensibilité, son doute omniprésent sûrement, pour en faire un talent. Un expertise, un oeil.

L’intuition, la force de croire infailliblement en ce qu’elle percevait en l’artiste, l’affirmer à cette époque, sont pour moi les qualités essentielles du métier de galeriste.

On pourrait aussi citer Gabrielle Chanel d’ailleurs. Et même y passer des heures…

Quels sont les évènements à venir ?

L’exposition actuelle s’achèvera le 18 Janvier.
Invitée par Métiers Rares, j’accompagnerai ensuite Marina Declarey sur l’évènement Objets Sensuels, qui se déroulera au Meurice pendant la fashion week – du 23 au 27 Janvier.
Cet évènement est un très beau projet autour des métiers de l’artisanat et du luxe, déployé en un parcours sensuel où les sens sont au coeur de la scénographie imaginée par Pierre-Yves Guenec justement.

Nous rouvrions ensuite la galerie le 26 Janvier prochain, pour présenter le travail exceptionnel de la portraitiste anglo-espagnole Lucie Geffré dans un écrin aux couleurs victoriennes.