Serge Lutens à Propos d’Ambre Sultan et des Parfums

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Serge Lutens, pour quelles raisons avez-vous souhaité créer Ambre sultan?

L’origine de sa création est perdue dans le temps, mais disons que c’est lors de mon premier voyage au Maroc, vers mars 1968, que j’ai trouvé aux souks de Marrakech, une boîte contenant une cire qui m’a intéressé et séduit. Très vite, cette senteur est devenue l’odeur même de ce voyage. Le temps a passé mais j’ai toujours encore aujourd’hui égaré quelque part, cette boîte parfumée qui est la base d’Ambre sultan… et je dirais même, de tout ce que les marques qualifient désormais, néo-poétiquement de « parfumerie orientale ». Pour moi, Ambre sultan un parfum arabe et j’en suis fier !

Comment l’avez-vous imaginé?

Ambre sultan appartient au passé et celui-ci ne m’intéresse pas. Voilà plus de 20 ans qu’il a été créé, non pas pour la finalité du produit, mais pour cette ambiance et l’identité qu’il véhiculait. Ambre sultan est pour moi tel qu’il se présente dans le flacon. Je ne l’ai pas imaginé autrement. Le mieux est encore de le sentir et le ressentir.

Quelle beauté caractérise Ambre sultan?

La beauté est tellement différente selon chacun qu’il est difficile de l’évoquer de façon aussi généraliste. Je parlerais plutôt de sensations pour ce parfum car au moment de sa sortie, il a véritablement provoqué une onde de choc dans la parfumerie qui ne s’attendait à rien de tel ! Il faut rappeler qu’à l’époque, au début des années 90, le parfum de façon générale, était  un produit socio-culturel : une véritable soupe marketing. Ambre sultan et Féminité du bois proposèrent de revenir à l’essence même des choses, ce qui était nouveau. Cela dit, aujourd’hui nous sommes hélas tombés dans l’excès inverse qui voudrait que toute l’originalité d’une création ne tienne plus uniquement qu’au coût et à la « noblesse » des matières premières utilisées. Nous assistons donc à de véritables concours TV de Précieuses Ridicules et de Femmes savantes où ne manquerait plus qu’un bouton pressoir pour être la première à faire étal de ses connaissances dans ce domaine.

Le poème Parfum de Baudelaire pourrait-il expliquer Ambre sultan, du point de vue des sensations recherchées et véhiculées par cette fragrance – voyage, souvenir, sensualité, intime et tentation?

Chez Baudelaire, comme chez tout écrivain, c’est le parfum de l’œuvre qui m’intéresse, non le parfum en soi. Chaque poème de Baudelaire nous délivre le message suivant : J’aime ce que vous n’aimez pas. J’aime car les autres détestent… Non, on ne peut cantonner les poèmes de Baudelaire à des parfums, au risque de tomber – comme je l’ai déjà dit un jour – dans le Baudelairama de la parfumerie. Il est trop facile de l’utiliser pour parler d’un produit. En revanche,  l’esprit de ce message : « J’aime ce que vous détestez » qu’il soit délivré par Baudelaire ou Genet, est toujours présent en moi.

Qu’est-ce que pour vous le/un parfum? 

Mon identité au moment où je le fais ; un peu comme pour le parfum La fille de Berlin où je déclare à la colère, sa beauté. Toute création provient d’un dédoublement chez moi.

Peut-on dire que vos parfums sont à la croisée des arts que vous pratiquez?

L’expression du parfum est unique, ressentie en touches, à la différence des autres métiers que j’ai pratiqués comme le cinéma ou encore la photographie. Le parfum est une des issues de l’intuition. On ne peut le démontrer autrement. Chaque création en ce domaine annonce un état en moi ; en quelque sorte, ma couleur du moment.

Quel est le meilleur moyen d’expression selon vous? 

Celui qui vous conduit au mieux de ce que vous voulez dire. Cela peut passer par des mots, des images, des parfums, mais le meilleur en soi n’existe pas. Pour preuve, les écrivains que j’aime ne sont pas considérés comme étant les plus grands, mais ils sont seuls, et à ce titre pour moi, incomparables. Ils inventent une façon de voir car ils ne peuvent le dire autrement.

Lorsque l’on regarde vos photographies, on peut admirer des femmes racées, mystérieuses, lunaires et affirmées à la fois. Elles sont fragiles et fortes, nues et ornées de mille couleurs. Le jeu sur l’ambivalence et la dichotomie féminine, serait-ce votre refrain créatif?

Si cela n’était qu’un refrain, cela me freinerait. Ces femmes, comme le disait Flaubert de Madame Bovary : « C’est moi ». Elles furent la seule façon d’apaiser ce que je contenais. Ce dédoublement, heureusement, n’a permis en aucune façon l’identification !

 

Par Sébastien Girard

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