Irving Penn et Richard Avedon furent tour à tour portraitistes de génie, et photographes de mode à rebours de la profession. Deux icônes de la photographie, parfois rivaux, qui ont su, chacun à leur manière, faire entrer des images au panthéon de la mode.
Irving Penn et Richard Avedon ont en commun le noir et blanc. Et le travail en studio. Un travail qui se fonde sur le modèle — dépouillé d’artifice pour éclater dans des éditoriaux notamment vus dans le Vogue Américain.
Deux icônes de la photographie de mode qui ont su en bouleverser ses codes…
Irving Penn, Le Glamour Et La Mode
Irving Penn, Des Photos Légendaires
En cinquante ans de carrière, Irving Penn a fait de Vogue le véhicule de sa fantaisie. Et de la photo son instrument pour magnifier le monde. Photographe de studio, à la différence de Norman Parkinson, Irving Penn a été embauché par le directeur artistique de Vogue, Alexander Liberman.
Alexander Liberman avait en effet pour ambition de faire du magazine un haut lieu de la photographie — à une époque où l’illustration était encore reine. Adepte du noir et blanc, Irving Penn réalise sa première couverture de Vogue, en même temps qu’il signe sa première photo en couleur. Une nature morte en couverture du numéro d’Octobre 1943: première couverture des 160 que réalisera Irving Penn tout au long de sa carrière.
Reconnaissable d’un coup d’oeil, le style Irving Penn est épuré. Dépouillé d’accessoires et d’artifice, il cherche à magnifier le modèle plutôt que de charger la photo d’un décor éprouvant pour l’oeil. C’est pourquoi toute sa vie Irving Penn travaille en studio. Une façon pour lui de contrôler le décor qu’il veut minimaliste au possible.
Le contraste fort entre lumière et obscurité signe la patte graphique et éminemment glamour d’Irving Penn. Parmi les photos ayant fait Ecole, cette couverture de Vogue avec Jean Patchett, en 1950. Une photo qui capture le sens de l’équilibre et la fougue des photos d’Irving Penn.
Epoustouflantes, elles restent en tête comme autant d’incarnation sur pellicule de l’âge d’or de la couture.
Car avec l’avènement du prêt-à-porter, et le Youthquake de Diana Vreeland, Irving Penn ne peut qu’être désenchanté. « De nos jours, il suffit d’une photographie banale d’une fille en robe » déclare-t-il alors…
Mais au delà de la mode, c’est aussi dans l’art du portrait que le photographe est passé maître. Des portraits d’icônes, du cinéma tel Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock et Marlène Dietrich. Ou encore Picasso, Miles Davis, Jean Cocteau et Salvador Dalí… D’une limpidité exemplaire, ces images réduisent ces stars à l’essentiel de ce qui les rend extraordinaire.
De la même façon, les photographies d’Irving Penn demeurent aujourd’hui des icônes de la photographie de mode. Audacieuse et sophistiquée. C’est Polly Mellen, rédactrice de légende, qui résume le mieux l’audace d’Irving Penn.
« Quand je pense à Penn, je pense à la perfection, à la discipline et au grand respect. J’ai fait très peu de séances avec lui qui n’étaient pas dans un studio à Paris ou à New York. Il fut aussi un temps où Penn a accepté de photographier la collection de Chanel. Elle fut organisée par Mme Vreeland et Alexander Liberman, à Paris. Coco Chanel était vivante à l’époque et elle a insisté pour utiliser ses propres modèles. Penn a dit: « Polly, je ne peux pas les photographier – ils sont laids! » Et ils l’étaient.
Il a dit: « J’apprécie les vêtements, mais je ne peux pas le faire avec ses filles. » Alors, finalement Alex Liberman, son grand ami, l’a convaincu d’utiliser les filles de Coco, car elle ne nous laisserait pas avoir les vêtements autrement. Quand nous avons shooté, j’ai vu ce qui se passait – « Oh mon Dieu, il les coupe au cou! » Il les a photographié de sorte que l’un soit retourné ou détourné. Il savait exactement comment faire pour que leurs têtes ne soient pas sur la photo. Les photos étaient magnifiques. Penn a toujours réussi. »
Irving Penn et Issey Miyake
Et il a en effet réussi à capturer l’intensité des mouvements de la mode non moins audacieuse d’Issey Miyake. Car, parvenir à figer dans une photographie des vêtements tout sauf immobiles demandait une approche à la Penn. Irving Penn réalise les campagne Miyake, pendant 13 ans !
Issey Miyake se remémore ainsi cette collaboration à l’aveugle — le couturier du mouvement donnant carte blanche à Irving Penn, jamais il n’assista aux séances. « Je l’ai rencontré, la première fois, dans les magazines américains, par la force et la beauté de ses photos. »
« Nous avons travaillé ensemble et sommes devenus amis. Ce qui nous réunissait, c’était le respect. A travers son regard dans ses photos, je redécouvrais mes vêtements, cela m’a donné une grande énergie pour créer encore. J’espère que mes créations le touchaient aussi… Je n’ai pas créé de vêtement en pensant à lui mais il m’a inspiré pour beaucoup de nouvelles choses. »
Noble et sincèrement raffinée, la photographie d’Irving Penn est sans aucun doute d’une influence monumentale sur l’imagerie de la mode. Celui avec lequel on aime le comparer aussi — un certain Richard Avedon.
Richard Avedon, Le Plus Mode Des Photographes
A la différence d’Irving Penn, Richard Avedon a littéralement capturé l’esprit et l’espièglerie de la mode des Sixties. Aux côtés de Diana Vreeland, Avedon fut le photographe qui donna à la mode ses images les plus inspirées.
Richard Avedon, Des Photos En Mouvement
Si le mouvement dans la photographie de mode fut initié par certains photographes tel Norman Parkinson, Richard Avedon est reconnu pour en avoir fait son leitmotiv.
Comment ne pas penser à la photographie de Veruschka, tout en mouvement? Celle encore de Stephanie Seymour? Ou encore les campagnes réalisées pour Versace?
Richard Avedon a littéralement mis en mouvement la couture, et l’attitude des femmes, dès les années 60. Détaché des contraintes et des techniques de prises de vue qu’il avait lui même travaillé pour Dior dans le Harper’s Bazaar, Avedon décide de montrer tout le contraire.
Il accompagne ainsi Diana Vreeland et la révolution du Youthquake en tricotant des photographies de mode où les mannequins vivent, transmettent de l’émotion, rient… qu’importe, tant qu’elles sont en action.
A la différence d’Irving Penn, Richard Avedon est en droite fil avec le tournant esthétique de la photographie de mode de ces années. Il a fallut attendre Anna Wintour et le changement survenu en 1988 pour que la photographie d’Irving Penn retrouve une place de choix dans le Vogue Américain.
Tout comme Irving Penn, Richard Avedon s’est aussi illustré comme portraitiste. En studio, aussi, dans la plus simple mise en scène. « J’ai un fond blanc. J’ai la personne qui m’intéresse et les choses qui se passent entre nous » résume-t-il.
Parmi les portraits devenus légendaires, celui de Marylin Monroe. Richard Avedon racontait la séance: « Pendant des heures, elle a dansé, chanté, flirté et elle a joué à être-elle, à être Marilyn Monroe. Et puis il y eut la chute inévitable. Et quand la nuit fut finie, quand le vin blanc fut terminé et que la danse prit fin, elle s’est assise dans un coin comme une enfant, vide. Je la voyais s’asseoir tranquillement, sans expression sur son visage, et je me dirigeais vers elle, mais je ne voulais pas la photographier à son insu. Et comme j’arrivais avec l’appareil, j’ai vu qu’elle ne disait pas non… »
Richard Avedon, de Dior à Versace: Des Photos Pour L’Histoire
L’entrée de Richard Avedon dans le monde de la mode est survenue en 1948. Il accompagne alors Carmel Snow à Paris pour photographier les nouvelles collections. Un an plus tôt, Carmel Snow avait baptisé le New Look de Dior. Cette fois, elle venait d’introduire à la mode l’un de ses plus grands photographes.
Et l’une de ses images les plus légendaires. En 1955, sous la responsabilité de Carmel Snow, Richard Avedon réalise pour Harper’s Bazaar la photographie de mode la plus chère de l’Histoire. La plus mythique, aussi. Dovima et les Eléphants, figeant littéralement pour l’éternité la robe imaginée par Yves Saint Laurent pour la maison de Christian Dior.
Quelques décennies plus tard, c’est pour Calvin Klein qu’il imagine une autre photographie devenue iconique. Celle de Brooke Shields dans la campagne publicitaire de Calvin Klein pour les jeans. Un exemple du genre qui inspire, aujourd’hui encore, nombre de campagnes publicitaires.
En parlant de campagne publicitaire, Richard Avedon a réalisé celles pour la maison de Gianni Versace. Autour de gimmicks clé à sa photographie, Avedon a rebattu les cartes de la figure féminine. Donnant vie à des femmes en action, sensuelle et maître de leur envie. Le tout, dans des postures tantôt facétieuses, tantôt évocatrices mais toujours en phase avec leur époque. Un fait qui, d’ailleurs, fait dire à Richard Avedon: « Quand vous faites ce que j’ai fait, à savoir capter la beauté de votre époque, ça ne se démode jamais. »