INTERVIEW : Franck Sorbier Nous Transporte Dans l’Univers des Saltimbanques pour l’Hiver 22-23

INTERVIEW : Franck Sorbier Nous Transporte Dans l’Univers des Saltimbanques pour l’Hiver 22-23

Évoluant au sein du cercle très fermé des Grands Couturiers, Franck Sorbier est également le seul créateur de mode à détenir la distinction de Maître d’Art. S’il est l’unique designer ayant obtenu deux distinctions honorifiques, rien n’est dû au hasard. 

Outre une expertise de plus de 30 ans dans le monde de la mode et de la création, Monsieur Sorbier envisage ses collections comme une plateforme permettant aux arts de fusionner et de s’exprimer. Les nombreuses thématiques engagées ayant été mises en avant par le biais de la danse ou d’autres formes d’expression artistique sont devenues les fibres d’une ADN de marque reconnaissable au premier coup d’œil. 

Artiste mais également artisan, Franck Sorbier met au premier plan de ses collections le savoir-faire français – entre recherche éthique et esthétique – réinventant à chaque présentation la richesse du patrimoine et de la culture française. 

Cette année, à l’occasion de la semaine de la Haute Couture parisienne, Monsieur Sorbier n’a pas fait exception à ses valeurs en nous livrant une collection unique, baignée des signatures iconiques de la Maison. 

Pour sa première présentation en physique depuis la pandémie, nous avons assisté au sein de la sublime cour du Conservatoire National des Arts et Métiers à un véritable spectacle vivant entre danses équestres, poésie et mélodies d’un autre siècle. 

Une invitation au voyage entre les époques et les références, toujours très léchées de Monsieur Sorbier – venant donner une dimension supérieure aux créations ô combien reconnaissables de ce Grands Couturiers : compression, bustier soulignant les courbes féminines, veste tailleur ou encore queues-de-pie … 

A travers la présentation de ses pièces Haute Couture Maître d’Art d’une part et le renouveau de son « prêt-à-commander » – très justement appelé Atelier Sorbier « Il pour Elle / Elle pour lui » aux looks très androgynes d’autres part, Franck Sorbier nous transporte dans un monde baigné d’insouciance et de légèreté où personnalités et talents se rencontrent.

Qui de mieux placé pour nous dévoiler les secrets de cette collection que Monsieur Sorbier lui-même ? Icon-Icon vous livre une interview exclusive du plus artiste des Grands Couturiers ! 

Pour commencer et introduire cette interview, pourriez-vous revenir sur la thématique de cette collection baptisée « Les Saltimbanques » ? 

Nous sommes actuellement dans une période que je trouve extrêmement rigide. 

La thématique de cette collection était ainsi une façon de sortir de cette ambiance quelque peu austère, où les défilés ressemblent presque à des marches militaires. 

L’idée des « Saltimbanques » renvoie donc à des gens différents, qui sont en marge de la société. J’ai ainsi réutilisé le slogan de mai 1968  défendant un droit à la différence. Ici, plus qu’un droit, cette différence est un devoir, voire même une vocation. Selon moi, on naît artiste et on ne le devient pas.

Si l’on doit prendre le parti d’une catégorie de personne, je pense que l’on prendra le parti de ceux qui nous font rêver, qui nous transportent. 

J’ai pris comme référence le film de Marcel Carné, Les Enfants du paradis. Le « paradis », ce sont les places qui se situent tout en haut d’un théâtre et qui sont les moins onéreuses. Finalement, le message que je souhaitais faire passer, c’est que tout ce monde est un monde qui n’est pas forcément verni mais qui n’est pas malheureux non plus. 

Ce sont des jeunes qui s’amusent et c’est aussi, je crois, une façon de revivre une certaine jeunesse insouciante et légère.

©VOSLION

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les différents personnages présents au sein de la collection ? 

Toute la couture représentait les métiers artistiques : il y avait aussi bien l’évocation de Sarah Bernhardt, d’une danseuse classique, d’un phénix (l’oiseau qui renaît de ses cendres dès qu’il se consume) que celle d’un page qui évoquait un troubadour. 

Il y a également les époques qui se télescopent. Il y avait notamment une bande de petits voyous inspirée par les photos de Brassaï des années 1920. Il y a donc en référence certaines photos où l’on voit cette bande de voyous – que l’on appellerait aujourd’hui des gangs, et qu’à l’époque on qualifiait davantage de bandes (les apaches). Je trouvais ainsi intéressant de remettre ceci au goût du jour, d’autant plus qu’il s’agit d’un phénomène qui est toujours d’actualité. Sur cette thématique, je pensais également à Gangs of New York de Scorsese. 

©VOSLION

Une autre partie de la collection représente un retour au prêt-à-porter – ou plutôt un prêt-à-commander auquel on a donné le nom d’Atelier Sorbier. On y retrouve un costume pour femme inspiré de Marlène Dietrich, où l’on repère le chapeau à la Humphrey Bogart, avec cet aspect cinéma polar, cette tendance autour des films policiers typiquement française avec toutefois quelques représentations aux États-Unis avec Les Incorruptibles ou les films de Frank Miller. 

Enfin, il y avait deux personnages de tziganes, un costume de travail autour des grandes blouses des charbonniers. 

Finalement, les différents personnages présentés au sein de la collection rassemblent à des petits voleurs, des petits voyous, des représentants de différents métiers ou des tziganes qui se mélangent avec des gens de la « haute » et des gens du spectacle.

Vous vous inspirez beaucoup de la littérature, du cinéma, de l’art en général, que l’on voit notamment transparaitre au niveau des couleurs, je pense au rouge et au noir en référence à Stendhal, pourriez-vous revenir en quelques mots sur votre processus de création, du passage de l’idée au vêtement ? 

Nous souhaitions faire ressortir deux couleurs prédominantes : le rouge et le noir. 

À part en Occident, où le rouge a une connotation diabolique, assez sanguinaire, en Orient, il est davantage une couleur qui porte bonheur (en Chine), représente l’énergie (au Japon), la vie (en Inde), quelque de très lumineux, notamment au Moyen-Orient. 

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D’autre part, j’avais toujours en tête le roman de Stendhal – Le Rouge et le Noir – un des romans que j’ai lu étant enfant et que j’ai adoré. Il est finalement comme une réminiscence, tout comme le manteau « Arbre de Vie » est une réminiscence de l’époque indienne. 

Sur ce manteau, il y a deux arbres : l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance. L’arbre de vie reste quelque chose de très léger, de positif et l’arbre de la connaissance, quelque chose de plus complexe. 

Pourriez-vous nous en dire plus sur cette pièce forte qu’est l’immense manteau « Arbre de Vie » et de son grand travail de broderies ? 

C’est un manteau chauve-souris, qui évoque un peignoir d’après-spectacle autour de quelque chose de très enveloppant, comme un cocon. 

Toute la partie représentant l’arbre est faite en organza de soie teint à la main. Tous les oiseaux – tous différents – les abeilles, fleurs ou feuilles ont été cousus à la main. 

On retrouve ainsi la métaphore de l’arbre qui donne vie, un véritable support pour la vie.

©VOSLION

On repère des looks assez androgynes, évoquant des Sarah Bernhardt ou Marlène Dietrich, pourriez-vous nous en dire quelques mots ? 

Nous avons décliné le même manteau et la même veste en taille homme et en taille femme. On voit en effet aujourd’hui que les femmes enfilent volontiers des vêtements d’homme, qui eux non plus n’hésitent pas à piocher quelques pièces dans le vestiaire des dames. 

Nous nous sommes également concentrés sur le pantalon – plutôt de costume – et la pièce à manche. Lorsqu’on regarde Marlène Dietrich : elle était à l’écran souvent très sophistiquée mais dans la vie, elle portait presque exclusivement le tailleur masculin. L’idée était ainsi de retranscrire cette notion d’une femme avant-gardiste, à l’instar de toutes ces grandes légendes du cinéma hollywoodien telles que Greta Garbo, Catherine Hepburn etc. 

©VOSLION

Plus qu’un simple défilé, vous livrez un véritable spectacle interactif voire ludique avec la présence de différents artistes, envisagez-vous la mode et même l’art comme une expression globale ? 

Tout à fait. 

Cette saison, nous avons eu la chance d’avoir la présence d’une danseuse ayant fait l’école de danse de l’Opéra pour représenter le phénix d’une part et d’une seconde danseuse ayant fait le Conservatoire – pour jouer le rôle mi arlequin mi pierrot – d’autre part. 

La grande jupe rouge avec la dentelle redécoupée évoque elle l’univers des tziganes. Il est important pour moi d’avoir une représentation d’un monde diversifié. En réalité, pour cette collection, nous avons choisi de représenter des gens qui existent, qui vivent, respirent et s’expriment. En somme, l’inverse d’un monde unilatéral et plat. 

Ce n’est pas la première fois que les chevaux et l’art équestre sont présents au sein de vos présentations, pourquoi cet animal ? 

Lors de notre dernier défilé, il y avait effectivement la présence de chevaux puisqu’il s’agissait d’un hommage à Maria Felix. 

Pour notre premier défilé, à la Rotonde de l’impératrice au Grand Hôtel Scribe, la mariée était elle aussi à cheval en portant une cape brodée par Lesage. La collection s’appelait « L’épopée de velours ». 

Si j’aime la présence de cet animal, c’est aussi parce que l’on dit toujours que la plus belle conquête de l’homme, est justement le cheval. Il y a cette notion d’un animal racé tout en étant domestiqué, revêtant dans l’imaginaire, une certaine liberté. 

C’est finalement un animal très élégant et sensible.

©VOSLION

Quelle serait pour vous la pièce phare de votre collection ?

Je pense qu’il s’agit du manteau « Arbre de Vie ». C’est lui, qui retient toutes les attentions parce que ce fond permet de faire ressortir ces touches d’ocre, de marron qui viennent se mélanger. Il y a de la couleur mais elle n’est pas clinquante. Il y a quelque chose de très vivant – de vibrant. 

Si l’on repère bien sûr l’ADN Sorbier – reconnaissable face à l’uniformité de beaucoup d’autres maisons – quelle serait la signature de la Maison, si nos lecteurs devaient en retenir une ? 

Il y a d’abord la compression 

Ensuite, ce sont les coupes qui très souvent soulignent le buste, dans quelque chose de très féminin, épousant la silhouette de la femme. 

Avez-vous une précision, un mot à ajouter, une pièce en particulier à présenter pour les lecteurs d’Icon-Icon ?

On peut notamment, évoquer le blouson rouge issu de la dernière collection. Pour cette pièce, l’idée était de mettre ce blouson avec une longue robe du soir afin de pouvoir changer de silhouette et véhiculer des contrastes de proportions. 

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Enfin, il y avait cette petite fille avec sa petite cape à volants qui ressemblait à une princesse tzigane. 

Propos recueillis par Sébastien Girard et Saskia Blanc 

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