À la Galerie Diane de Polignac à Paris, l’exposition Gordon Onslow Ford & Roberto Matta : La Dynamique intérieure, la sincère amitié déroule l’histoire d’un dialogue créatif qui a traversé tout le XXᵉ siècle. Elle se tient du 16 octobre au 29 novembre 2025, au 2 bis rue de Gribeauval, et s’accompagne d’un ouvrage inédit, Endless Crossroads, dirigé par Christian Demare, avec des contributions de Didier Ottinger, Fariba Bogzaran, Caterina Caputo et Ramuntcho Matta.
Gordon Onslow Ford & Roberto Matta : la dynamique intérieure d’une amitié
Tout commence à Paris, en 1937. Onslow Ford, jeune peintre britannique allié aux surréalistes, rencontre Matta, architecte chilien passé par l’atelier de Le Corbusier. Une conversation s’engage sur l’espace mental, l’inconscient, les mondes intérieurs — autant de notions qui deviendront centrales pour chacun. Leur amitié durera soixante-cinq ans, rythmée par des correspondances constellées de dessins. Une sélection de ces documents, longtemps privés, est aujourd’hui présentée à la galerie et dans le livre.

Ramuntcho Matta, fils de Roberto, résume ce lien avec une métaphore désarmante : « Tous les deux, ils regardent le clou qui est là. Et le clou de notre histoire, c’est toujours notre bonne étoile. Et cette bonne étoile, elle se tricote, elle se cultive, elle se façonne, elle se sculpte. » Dans ces mots, on entend ce que la peinture ne dit pas toujours : la création comme un lien invisible entre êtres qui croient à la même lumière.
L’exposition choisit de raconter une amitié par les œuvres. Le parcours réunit sept pièces de Gordon Onslow Ford et sept de Roberto Matta, couvrant plus d’un demi-siècle, de 1937 aux années 1990. D’un côté, Onslow Ford : peinture fluide, lignes respirantes, calligraphie méditative. De l’autre, Matta : paysages mentaux en expansion, architectures intérieures, cartes cosmiques. Cette dualité n’oppose pas ; elle met en tension. L’« intérieur » n’est plus un refuge mais un mouvement du voir et du penser.
La dynamique intérieure, concept-clé de l’exposition, désigne ce point de naissance de l’image où l’attention devient forme. Chez Onslow Ford, elle évoque un « seeing » actif, une vision totale du corps et de l’esprit. Chez Matta, elle se manifeste par des forces, des vortex et des frictions qui agitent la toile comme un champ énergétique. Les œuvres, traversant plusieurs décennies, montrent la constance de cette recherche : unir vision et vibration, ligne et souffle, intuition et architecture.
La sincère amitié, second versant du titre, devient matière visible. Lettres, dessins et notes révèlent un compagnonnage d’une intensité rare. Ce corpus, conservé notamment à la Lucid Art Foundation en Californie, restitue une histoire de l’art à hauteur d’homme : les échanges, les doutes, les encouragements qui déplacent une trajectoire. L’édition de Endless Crossroads en propose une version bilingue de 240 pages pour ouvrir ces archives à un public plus large.
Ramuntcho Matta raconte aussi un détail presque secret, au croisement de l’histoire et de la légende : « Les États-Unis devaient trouver une idée pour représenter la carte de l’Atlantique, pour que les bateaux nazis ne puissent pas les couler. Alors, ils ont demandé aux artistes d’y réfléchir. Et la personne en charge de ça, c’était Buckminster Fuller, un grand ami de mon papa. Mon père a beaucoup travaillé sur ces cartes. Mais c’est un secret. » Cette parenthèse ouvre un nouvel angle : l’art non comme échappatoire mais comme outil de pensée et de survie.
Un épisode pivot illustre cette relation : l’été 1939 à Chemillieu, dans l’Ain, où Matta séjourne dans le château loué par Onslow Ford. C’est là que Matta peindra sa première toile, passant du dessin à la peinture. Autour d’eux gravitent Esteban Francés, Yves Tanguy, Kay Sage, André et Jacqueline Breton : un micro-écosystème d’échanges et d’expérimentations. Quelques photographies de cette époque, aujourd’hui exposées, complètent le récit.
Ce que la Galerie Diane de Polignac réussit ici tient à un équilibre subtil : un récit intime et historique. Intime, parce que la relation Matta–Onslow Ford est abordée à hauteur d’hommes, à travers leurs lettres et leurs confidences. Historique, parce que le duo est replacé dans une cartographie plus large : la constellation surréaliste, les exils vers les Amériques, les recodages de l’abstraction d’après-guerre et les spiritualités qui infusent la peinture. L’accrochage sobre laisse le temps de regarder ; le catalogue prolonge l’expérience avec des essais d’historiens et la voix de Ramuntcho Matta, qui relie cette amitié à la génération suivante.
Pourquoi cela compte-t-il aujourd’hui ? Parce qu’on y voit se déployer une éthique de la conversation. À une époque où l’abstraction semble appartenir au passé, Matta et Onslow Ford rappellent que peindre, c’est toujours répondre à la même question : comment donner forme à ce qui bouge en nous ? Leur amitié, faite de curiosité, de désaccords productifs et d’admiration, propose une autre figure de la modernité : non pas le génie solitaire, mais la co-pensée, la réciprocité, le « je » élargi au « nous ». C’est une leçon de regard : la puissance d’une œuvre tient autant à sa forme qu’à l’écosystème d’affects et de lectures qui l’entoure.
En quittant la galerie, trois images demeurent. Une toile d’Onslow Ford où la ligne semble respirer, comme une méditation peinte. Une composition de Matta où l’espace se déplie en architecture sensible, presque acoustique. Et enfin, un feuillet de lettre, croquis et pliures visibles : la preuve tangible d’une amitié qui a fait de l’art une manière d’habiter le monde.
Galerie Diane de Polignac, 2 bis rue de Gribeauval, 75007 Paris
Exposition Gordon Onslow Ford & Roberto Matta : La Dynamique intérieure, la sincère amitié
Du 16 octobre au 29 novembre 2025

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