Les Ready-mades, La Démarche De Marcel Duchamp…

Les Ready-mades, La Démarche De Marcel Duchamp…

Les ready-mades constituent la démarche la plus connue de Marcel Duchamp. Une démarche artistique qui vise à extraire l’art de ses médiums pré-déterminés, et des canons de l’académisme.

La démarche de Marcel Duchamp trouve dans ses ready-mades l’aboutissement de sa volonté de s’affranchir de la barrière du goût. Bon ou mauvais. En plus d’ouvrir l’art à tout autre médium.

Les Ready Made, La Démarche

« Le choix des ready-made est toujours basé sur l’indifférence visuelle en même temps que sur l’absence totale de bon ou de mauvais goût » Marcel Duchamp.

Est-Ce De l’Art?

« En 1913 j’eus l’heureuse idée de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine et de la regarder tourner. Quelques mois plus tard j’ai acheté une reproduction bon marché d’un paysage de soir d’hiver, que j’appelai « Pharmacie » après y avoir ajouté deux petites touches, l’une rouge et l’autre jaune, sur l’horizon.

A New York en 1915 j’achetai dans une quincaillerie une pelle à neige sur laquelle j’écrivis « En prévision du bras cassé » (In advance of the broken arm). C’est vers cette époque que le mot « ready-made » me vint à l’esprit pour désigner cette forme de manifestation.

Il est un point que je veux établir très clairement, c’est que le choix de ces ready-mades ne me fut jamais dicté par quelque délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d’indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût… en fait une anesthésie complète. Une caractéristique importante : la courte phrase qu’à l’occasion j’inscrivais sur le ready-made. »

Marcel Duchamp explicite aisément la démarche derrière ses ready-mades. Baigné dans un premier temps par la philosophie de Dada, il a poussé l’exploration de l’absurde jusqu’à l’extrême.

Mais ici comme dans le dadaïsme, l’absurde est porteur de sens. Dans la société matérialiste et industrielle qu’est celle de l’Occident du début du XXème siècle, prendre un objet industriel puis le décréter oeuvre d’art tient en effet lieu d’une transgression bien inspirée.

Avec ses ready-mades – objets industriels auxquels l’artiste qu’est Duchamp ne change que la fonction – il bouleverse radicalement les conceptions, les notions et la valeur culturelle prêtées à l’‘Art’ par conventions.

« Un autre aspect du ready-made est qu’il n’a rien d’unique… La réplique d’un ready-made transmet le même message ; en fait presque tous les ready-mades existant aujourd’hui ne sont pas des originaux au sens reçu du terme » précise-t-il en 1961.

Pas unique. Pas beau. Pas original. Est-ce de l’art? Les ready-mades poussent justement à se poser cette question. Et c’est exactement ce que visait Marcel Duchamp.

D’un Côté l’Artiste, de l’Autre le Regardeur

La question cruciale pour Marcel Duchamp tient aussi à intégrer le regardeur dans le processus. Ce qui fait un objet artistique, c’est l’intention de l’artiste. Et celui qui le regarde.

« Mon idée c’était de choisir un objet qui ne m’attirait ni par sa beauté ou sa laideur, pour trouver un point de déférence dans le regard que je porte » affirme-t-il.

Mieux, il n’hésite pas à déclarer de son vivant que « ce sont les regardeurs qui font les tableaux. »

Inclure ainsi le regard du spectateur dans le processus de création inspira les surréalistes, de Magritte à Dali. Seulement, pour Marcel Duchamp la question est un brin différente. Il ne demande pas au regardeur de compléter l’oeuvre qu’il a en face de lui, comme dans le Surréalisme.

« Dans l’acte créateur, l’artiste passe de l’intention à la réalisation à travers une chaîne de réactions totalement subjectives. Sa lutte pour la réalisation est une série d’efforts, de douleurs, de satisfaction, de refus, de décisions, qui ne peuvent et ne doivent pas non plus être pleinement conscients, du moins sur le plan esthétique. […] Dans l’ensemble, l’acte créateur n’est pas exécuté par l’artiste seul; le spectateur met l’œuvre en contact avec le monde extérieur en déchiffrant et interprétant sa qualification intérieure et ajoute ainsi sa contribution à l’acte créateur. Cela devient encore plus évident lorsque la postérité rend un verdict final et réhabilite parfois des artistes oubliés »

Déchiffrer et interpréter — voilà l’intérêt pour Duchamp. Placer un objet industriel comme une oeuvre d’art au milieu d’une exposition, en fait une oeuvre d’art. Mais est-ce une oeuvre? L’oeuvre d’art prend vie dans la réaction et les discussions qui en découlent.

Les Ready-mades, Le Concept

André Breton, dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, en 1938, définit ainsi: « Le ready-made est un objet manufacturé promu à la dignité d’objet d’art par le seul choix de l’artiste. »

Objet Industriel, Et Dignité De L’Oeuvre d’Art

Le concept derrière les ready-mades vise à désacraliser l’art et ce qui lui est attaché. Il faut dire que depuis longtemps, l’art a été institutionnalisé. Par l’Eglise d’abord, par l’aristocratie ensuite, et enfin par le marché bourgeois.

En totale contradiction avec les conventions, Marcel Duchamp va ancrer ses ready-mades dans l’idée qu’un ‘vulgaire’ objet de tous les jours peut atteindre le sublime prêté à une oeuvre d’art.

Puisque de l’art découle aussi le vrai, le bien et le beau, Duchamp veut en finir avec cette hiérarchisation. Réalisés dans les années 1910, la plupart des ready-mades sont détruits. Connus par une poignée d’initiés et d’amis, les premiers Ready-mades que furent la Roue de Bicyclette ou encore la Fontaine et le Porte-bouteilles… Aucun n’est parvenu jusqu’à nous dans sa forme originale.

C’est l’exposition organisée en 1951, chez Sidney Janis, à New York, qui fut à l’origine de leur première ‘réédition’. Une nouvelle fois, Duchamp va remettre en question le concept d’originalité et d’unicité d’une oeuvre d’art. Original pour un ready-made ne veut rien dire.

Duchamp insiste sur la remise en cause de la dignité de l’oeuvre d’art en signant, par exemple, son nouveau Porte-bouteilles par: « Marcel Duchamp, Antique certifié. »

La Démarche A La Base De l’Art Conceptuel

Mais voilà, cette intronisation est en réalité tout ce que Marcel Duchamp voulait anéantir. Une intronisation par le sensible, le beau… Il le dit lui-même: « L’intention du ready-made, c’est de se débarrasser de cette idée du beau et du laid. On pourrait en faire cinquante par jour, mais ce n’est pas vrai. Si vous en faites cinquante par jour, vous verrez que dans trois ou quatre jours les cinquante commencent à vous plaire, donc le résultat n’est pas ce que je cherchais

La démarche visait aussi à ne pas réfléchir sur l’oeuvre mais sur la notion. Interrogé par un journaliste à savoir comment l’on doit regarder un ready-made, Duchamp répondait: « Il ne doit pas être regardé au fond, il est là simplement. […] On ne contemple pas. On prend note que c’est un porte bouteille qui a changé de destination, et puis c’est tout. »

Et puis c’est tout? Pas sûr. Il ajoute: « La visualisé disparait. L’oeuvre d’art n’es plus visible elle est complètement matière grise. »

La démarche à la base de l’art conceptuel est bien celle des ready-mades. Le concept, l’idée, l’intention de l’artiste priment sur l’objet qui en résulte. A partir de là, l’art concerne tout ce que l’on veut, à la seule condition de porter une interrogation — qui découle du bon vouloir de l’artiste.