Cocteau l’adouba ‘reine de la mode’; Liane De Pougy fut toute à la fois cocotte et reine du tout-paris. Inspirant de Lanvin à Boucheron.
Sarah Bernhardt lui prodigua le conseil d’une vie : « N’ouvre pas la bouche, contente toi de te montrer. » Si Liane de Pougy a en effet une beauté tapageuse, son talent, lui, ne brilla sur les planches. Ce n’est pas faute d’avoir eu le soutient de l’un des talents les plus glorieux de son temps. Henri Meilhac, l’homme derrière les librettos d’Offenbach et Bizet, prend sous son aile la jeune Anne-Marie Olympe (1869- 1950). La faisant jouer aux Folies Bergères, puis à l’Olympia, à la Scala et au Moulin-Rouge. Si les critiques restent dubitatives, le par-terre où se pressent Rois et Empereurs du monde entier, lui trouve un véritable talent! Il faut dire qu’à l’époque, les têtes couronnées venaient à Paris pour s’encanailler — trouvant là des femmes n’ayant d’autres choix que de devenir courtisanes. Mais les cocottes, comme on les appelle, ne sont pas de simples prostituées: elles incarnent une nouvelle forme de féminité. Tout en nuances et beauté. Affriolante de liberté!
Liane de Pougy tient ainsi le haut du pavé. Elle n’est peut être point une artiste, mais elle est incontestablement une icône de mode. Nombre de journalistes de l’époque rapportent que sa loge est pareille à une boutique de joaillier. Et pas n’importe laquelle. Liane de Pougy aime en faire l’inventaire : « Admirez ce collier de turquoises, cette rivière, cette broche en émeraude, et ces deux autres broches que me donnèrent deux lords… Vous voulez voir maintenant mes trente-trois bagues? Sont-elles belles, hein? Voyez d’abord ce grand serpent de diamants. Sa langue est de rubis. Cette petite bête vaut 900 000 Francs. C’est Boucheron qui l’a vendu à M. Meilhac de qui je le tiens. »
Il est vrai que depuis qu’il a ouvert sa boutique en 1858, Boucheron peut compter sur les commandes extravagantes de Liane de Pougy. Sans elle et les autres grandes courtisanes, les créations joaillières de l’époque auraient été cantonnées à la sobriété des femmes de la haute société. Et c’est bien là tout l’apport des cocottes dans la mode et le luxe. Figure féminine tout en style et exubérance, elle contribua a faire avancer les créateurs de l’époque. Cartier, Maubossin, Tiffany’s… Et c’est encore plus vrai pour la haute couture alors naissante!
« Je suis une femme, et je suis la mode. Alors un jour Doucet, un jour Callot » a-t-elle un jour confié à un magazine de mode. Oui car Liane de Pougy est très tôt reconnue pour être une figure de mode. On l’invite par exemple à endosser le rôle de rédactrice en chef lors d’un numéro spécial du magazine L’Art d’Etre Jolie. C’était en juillet 1904. Les couturiers eux-mêmes ne tarissent d’éloges; en 1892 déjà Jeanne Lanvin déclarait au journal Liberté, dans un article intitulé ‘Une ambassadrice de l’élégance. Avec Liane de Pougy pendant une séance d’essayage’ : « Elle est mon modèle. C’est un véritable plaisir de l’habiller, peu de femmes se préoccupent autant de la coupe ou du style de la robe. Elle peut porter les créations les plus difficiles. » Lorsque Liane de Pougy quitta la France pour une tournée aux Etats Unis, elle fut celle qui, la première, contribua à la renommée des couturiers Français qui l’habillaient avec délectation. Paul Poiret en tête!
C’est l’effet Liane de Pougy — son visage s’étalait dans tout Paris. Dessinée par Mucha. Photographiée par Nadar. Edmond Goncourt finit par la qualifier de ‘femme la plus belle du siècle’. Mais elle n’était pas la seule. La compétition entre ces grandes horizontales était un tel spectacle que celui-ci ne pouvait se faire autrement qu’à travers bijoux et luxueux vêtements. L’altercation la plus célèbre se déroula le 6 février 1897, dans la salle du Casino de Monte-Carlo. Albert Flament en a été témoin: « Dans ce milieu international, les foules brillantes d’un monde pour qui le monde sans l’or serait sans raison d’exister, la belle Otero attire d’abord l’attention. (…) Puis, de la tête aux pieds, elle n’est que pierres précieuses et diamants. (…) Ce soir dans l’atrium du casino de Monte-Carlo, la foule savait déjà qu’Otero ajoutait à ses précédentes exhibitions des émeraudes exceptionnelles. Jusqu’au seuil des salles réservées à la roulette s’enflait un grand brouhaha. Qu’en penserait Liane? »
« Complaisamment, Otero repassait, faisant la roue entre une double haie de spectateurs. Mais soudain, comme à l’approche d’un drame de palais, une rumeur courut. Le public, absurde et impressionable, paria que ce qu’il avait attendu éclatait. Mme de Pougy venait d’apparaître. Et, tandis que des remous se produisaient soudain, des applaudissements s’élevèrent. (…) Vêtue de mousseline blanche dont la diaphaneité se nuançait de rose, apparut Liane de Pougy. Pas un diamant, pas un rubis, pas un saphir… Il y manquait une dernière touche… En effet derrière elle, sa femme de chambre avançait, portant une de ses robes sur laquelle s’écrasaient plus de bijoux que jamais Otero n’en exhiba. Et c’est la femme de chambre qu’on applaudissait. » Peu étonnant que Liane de Pougy alla jusqu’à inspirer à Proust le personnage d’Odette de Crecy, l’obsession de Swan dans La Recherche. Une icône en somme, révérée par les arts.