Elle a voulu construire le “plus bel hôtel de Paris” — et il trône toujours au 25 avenue des Champs Elysées. La Païva fut tour à tour une grande horizontale et la mécène des artistes qui ont fait la grandeur du style Belle Epoque.
Esther Lachmann, aka La Païva (1819-1864), fut sans conteste la plus brillante des cocottes de Paris. Débarquée seule et sans le sous, elle fait la rencontre du compositeur Henri Herz. Très vite, ce-dernier l’introduit au Tout-Paris. Franz Liszt, Richard Wagner, Théophile Gautier, Émile de Girardin… La Païva fait sensation auprès de ses hommes de goût, mais leur préfère très vite un marquis Portugais, Albino Francisco de Araújo de Païva. Elle l’épouse, en prend le nom mais, à peine le mariage fut-il consommé, que celle-ci pris les devants. En 1852, elle divorce pour jeter son dévolu sur un jeune lord Prussien, Guido Henckel Von Donnersmarck. Cousin de Bismarck et seconde fortune de Prusse, il fut pour La Païva l’élément manquant à l’accomplissement de son rêve. Lors de son mariage à Passy, elle est déjà adoubée lorsque le public remarque qu’elle porte une tiare rivalisant de splendeur avec celle de l’Impératrice des Français. Quelques mois plus tard, son époux lance les grands travaux de son hôtel particulier du 25 avenue des Champs Elysées. Son influence sur le luxe et les arts ne fait que commençait.
Ce, car, comme il est de bon ton de faire à l’époque, La Païva va meubler et décorer son hôtel dans le pur faste de la Belle Epoque. Dix ans de travaux furent nécessaire à l’édification de l’un des plus somptueux hôtels de la capitale — et près de 40 millions d’euros furent dépensés. Commissionnant ainsi des artistes inconnus du public, La Païva certes contribua à la réputation, mais aussi et surtout à l’élaboration même du style Belle Epoque. C’est par exemple sa baignoire taillée dans un même bloc d’onyx jaune d’Algérie — équipée de trois robinets. L’un pour l’eau, le second pour le lait d’ânesse, le troisième pour le champagne. C’est aussi l’artiste Paul Baudry à qui fut confié la réalisation des grands plafonds de cet hôtel particulier. Une exécution d’une telle beauté qu’il remporta le Prix de Rome en 1850. Quelques années plus tard, Charles Garnier fait appel à son talent pour réaliser le foyer du mythique Opéra Garnier.
C’est encore l’argenterie signée Christofle. Maison d’orfèvre auprès de laquelle César Ritz va plus tard quérir la vaisselle de son palace. Au musée d’Orsay sont visibles deux consoles d’une beauté folle — réalisées en bronze pas les illustre Albert-Ernest Carrier-Belleuse et Aimé-Jules Dalou… Incarnation la plus aboutie du goût de la Belle Epoque, l’hôtel particulier de La Païva devient l’endroit où il faut être. Napoléon III lui même passa quelque fois voir de ses propres yeux ce lieu exceptionnel dont le Tout-Paris ne fait que parler. Mais l’influence de La Païva n’était pas qu’une question de goût pour le design.
Elle fut aussi une figure de mode. Contribua à lancer la mode du khôl. C’est vers elle que Charles Worth, pionnier de la Haute Couture, se tourna lorsqu’il voulu retirer les crinolines de ses robes — l’engouement fut tel que La Païva servit longtemps de muse au couturier. Aux joailliers aussi! Sa vision, tout en extravagance, a permis d’asseoir la réputation naissante d’autres maisons aujourd’hui légendaires. Parmi elles, Chaumet et Van Cleef & Arpels… La Païva avait en effet un goût très précis en matière joaillière. Après avoir remarqué un bijoux à l’exposition universelle de 1878, elle passa commande auprès de François Boucheron d’une collerette composée de 407 diamants! Ses ‘bébés’ comme elles les surnomment furent l’une des plus spectaculaires ventes Sotheby’s. C’était en 2003. La vente de deux gros diamants jaune dit Donnersmark — l’un taillé en poire, 32 carats; le second en forme coussin de 102,54 carats — se sont envolés pour 3 millions d’euros. Signe que l’inspiration première de la plus grande des cocottes figure aujourd’hui encore au panthéon des objets du désir!