Dans le domaine de l’horlogerie, il est une question qui taraude l’esprit des plus grands, et ce dès les premières années du XXe siècle : comment faire entrer le rond des heures dans la ligne d’un bracelet qui, épuré, se devra d’intégrer le dessin des attaches au boîtier, le tout dans le prolongement du même bracelet ? Après moult essais, Cartier parvient finalement à mettre au point un garde-temps combinant toutes les exigences de la modernité : nous sommes en 1917, la Tank vient de naître, œuvrant par là même à l’ouverture d’une nouvelle ère horlogère. D’elle on dira qu’ « un tank est entré chez Cartier. » Tank puisque sa silhouette, la montre la doit au char Renault : vu de haut, les brancards pour les chenilles, le boîtier comme l’habitacle du véhicule. Si l’on voit là avant tout l’apparition d’un garde-temps, en réalité la Tank érige une forme, un style, une élégance, une trajectoire sans pareil bref, la Tank va faire entrer au monde une manière de vire, résolument moderne. Un instrument à mesurer le temps s’ébrouant ainsi de toutes les traditions en vient à faire le pont entre des époques – et cela ne pouvait en être autrement. L’esthétique Tank relève de l’équation du style Cartier : cadran guilloché, chemin de fer graphique et chiffres romains noirs gravés sur blanc ou blanc sur noir, et la Tank devient une référence en horlogerie. C’est donc en 1917 que la manufacture joaillière esquisse le premier prototype de la montre ; en temps de paix, le prototype est offert au général John Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain en Europe. Son succès est immédiat.
Figure de proue avant l’heure d’une tendance acclamant la pureté des lignes et la recherche des formes, la Tank s’élève pourtant rapidement dans une version joaillière, s’amusant à brouiller les frontières du masculin et du féminin. Oui, la liberté et l’élégance n’ont pas de genre. Dans les années 1940, la montre Tank se montre sur la scène internationale : aux poignets d’acteurs, d’écrivains et d’artistes, on l’affiche comme une démonstration de parfaite élégance. Quelle que soit l’époque qui la réhabilite chaque fois, sa force est de rompre d’un coup net avec un certain goût la rigueur formelle. En 1987 justement, Cartier dessine la Tank Américaine – une forme rectangulaire devenue plus compacte, arrondissant par la même la cambrure des brancards. Merveille d’horlogerie et de style qui joue avec la géométrie, alternant le tranchant et le doux, les droites et les courbes, les arrondis et les angles, la Tank Américaine est aussi la première montre Cartier avec boîtier cambré et étanche. La Tank Américaine peut se lire comme le manifeste d’un classicisme assumé : une puissance conjuguée à la discrétion de sa forme étirée et légèrement bombée font d’elle un grand classique. Mais si elle est une montre habillée, sa force ne s’en déclare pas moins – généreuse et massive, d’aucuns y lise un hommage rendu à la montre Tank offerte au général Pershing… Finalement, la Tank est cet éloge de l’horlogerie Cartier au dandysme et, comme l’écrit Jean-Charles de Castelbajac en 1994 : « Si tous les tanks étaient fabriqués par Cartier, nous aurions le temps de vivre en paix ! »
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