INTERVIEW : Véronique Fel, Photographe

INTERVIEW : Véronique Fel, Photographe

Comment est née votre vocation ?

J’ai découvert la photographie jeune adolescente. Je participais à un club photo de collège, animé par un professeur bénévole amoureux de cet art. L’époque de mes premières prises de vue, un boitier autour du cou. L’aventure ! Depuis la photographie ne m’a jamais quittée ou plutôt je lui suis restée fidèle en faisant miennes, ses évolutions techniques. J’étais déjà contemplative. Regarder le monde à travers le viseur d’un appareil photo me procurait cette sensation étonnante et géniale d’une grande intimité avec le sujet choisi. Comme si le monde autour se mettait sur pause ! Cette sensation est toujours présente et vive. À chaque fois que j’ai l’œil collé au boitier, je rentre dans l’espace temps de mon viseur. Je me sens privilégiée puisque seule à regarder. Et la magie de la photographie est que je peux fixer cette vision, sensation sur du papier et la revivre à l’infini, par souvenir, en la regardant…


Comment votre œil s’est-il forgé au long de vos idées, vos voyages ?

Je n’ai voyagé que tardivement. Cette attraction pour l’image, me conduira sur le chemin d’études universitaires en cinéma et vidéo. S’en suivent presque vingt années d’une première carrière en production de reportages et programmes tv. Le choix fut difficile car j’aimais mon métier mais la photographie n’avait cessé de m’accompagner dans la vie et en 2010, mon envie d’adolescente d’en faire mon métier, m’a rattrapée. J’ai tout lâché pour me consacrer pleinement à Elle. Rapidement mes photographies, mes portraits, ont été repérés. J’ai travaillé et je travaille encore pour des commanditaires. Mais c’est un fait, mes études et ma première carrière enrichissent la deuxième. Vivre autant d’années entourée de journalistes et dans une rédaction, m’a éclairée sur le sens du récit par l’image. J’ai vraiment commencé à faire des voyages personnels et photographiques à ce moment là. Par cette liberté de ne plus avoir à me rendre sur un lieu de travail, tous les jours.

Quel photographe, artiste, œuvre ou photo vous a mis sur votre voie ?

Ce qui nourrit mon histoire avec la photographie, est la photographie du cinéma. L’esthétisme graphique de Jacques Tati a chacun de ses plans, la lumière de Bagdad Café de Percy Adlon sublimant la beauté et l’humanité de deux femmes, la photographie du film Arizona Dream, grain de folie d’Emir Kusturica ou très récemment encore, Goodby de William Nicholson qui filme une comédie dramatique, sous cette lumière zénithale qui m’est si chère. Ces images et tant d’autres, leur lumière, leur parfum, leur histoire, façonnent mon regard depuis l’adolescence. La peinture aussi…


Vous appuyez votre style graphique sur le soleil de midi. Pourquoi cette lumière si particulière ?

La lumière au zénith. Cette lumière est décriée dans le monde de la prise de vue. C’est une lumière mal aimée. Aveuglante, écrasante, moche… sont certains des adjectifs peu flatteurs qu’on lui donne. Je l’ai travaillée par hasard, en 2012 mais Il me semble aujourd’hui qu’il n’y a pas de hasard dans notre rencontre. J’ai fait ma première série sous cette lumière, au Cap Vert. J’avais deux heures de liberté devant moi pour raconter l’histoire d’une petite ville qui m’intriguait. Je n’ai pas choisi le temps qui m’était donné. Il se trouve que c’était entre 11h et 13h environ, par un soleil ardent. J’ai pris cela un peu comme un challenge. Je me devais de témoigner du moment présent et du supplément d’âme que donnait cette lumière intense, à un lieu déjà imprégné de fortes sensations. J’ai fait confiance à mes cadrages, mes compositions et mon ressenti. J’ai flirté avec la surexposition par mes réglages pour respecter ce que je voyais. Je voulais faire un constat brut et ne surtout pas intervenir pour changer le réel. Déjà dans l’œilleton, je trouvais le résultat étonnant. C’est en éditant mes photographies que je l’ai trouvé fascinant. Le constat était là. Les ombres étaient absentes, les traits dessinés, la palette de couleur démultipliée et vivifiante. La ville était rayonnante, attirante et belle, malgré ses paradoxes et sa tristesse. Une impression de matière se dégageait de la photographie. Envie de la toucher. Depuis ce jour, je compose avec cette lumière. Quelque soit le temps, ses variations sont infinies. Je l’ai faite mon alliée pour mes images. C’est une lumière particulière qui joue un rôle important dans mes compositions. Elle affecte mon sujet, souligne le sens de mon point de vue et lui donne de la plasticité. Mes images restent présentes en mémoire. La lumière du zénith participe pleinement de la singularité de ma photographie. Elle est ma palette de couleur avec laquelle je compose.

Racontez-nous un peu la genèse de la série des photographies exposées à la Galerie Sarto, à Paris. Le voyage à Cuba, la décision de se rendre sur ces terres de fantasmes et d’histoire…

En 2015, 2016, Barack Obama et Raoul Castro ont œuvré ensemble pour le rétablissement des relations diplomatiques entre leurs deux pays, après plus de 50 ans d’embargo contre Cuba, instauré par les Etats Unis. J’avais organisé un séjour sur l’Ile au printemps 2016, pour raconter d’une façon ou d’une autre ce bouleversement dans le quotidien des Cubains. L’assouplissement des interdits, l’ouverture aux importations, le mirage d’internet au loin. Je n’ai finalement pu partir qu’en mai 2017. Trump était arrivé au pouvoir et était engagé dans une révision complète des accords passés entre Obama et Castro, pour faire marche arrière, évidemment! Je suis arrivée dans un pays chamboulé, un pays qui avait pourtant trouvé un équilibre toutes ces années et portait l’image internationale de la joie sur ses terres. Une joie colorée, musicale, accueillante pour toute personne souhaitant séjourner à Cuba. Une chose avait changé. À seulement 2h30 de bateau, les nouveaux touristes américains faisaient de la Havane, leur terrain de jeu. J’ai assisté à des scènes surréalistes et déconcertantes. Dans les rues, le désarroi de la population locale était palpable. Je sentais une colère lancinante et silencieuse. Dès mon arrivée, comme tous, je découvre la multitude des vieilles voitures américaines, incontournables et universelles. Elles sont l’emblème joyeux de ce un pays pourtant écorché. Je réalise qu’elles sont presque toutes devenues des accessoires purement touristiques, trop maquillées à mes yeux, par des couleurs « markétées » et gages de dollars faciles. Je voulais leur rendre hommage pour leur histoire et par procuration, avoir une pensée pour ces Cubains qui les ont maintenues en vie malgré l’embargo et l’impossibilité d’importer des pièces pour réparation. Des orfèvres de la mécanique par amour pour leurs bijoux. Photographier ces Havanaises… je savais que l’exercice serait difficile car maintes fois traité. Un sujet « marronnier».

Avez-vous shooté de manière spontanée ?

Je travaille très peu de manière spontanée. Ce qui participe aussi de la singularité de mes images. Pour les Ladies, j’ai vécu deux jours d’errance dans les rues sans aucune inspiration de composition. Aucune photographie ou presque. J’étais agacée contre moi de ne rien sortir. Comment les distinguer par respect pour leur histoire ? Le troisième jour, à seulement quelques mètres de ma chambre louée, au fond d’une rue, mon regard se pose, enfin, attiré par des lignes vertes sur le Malecón. Pas à pas je me suis approchée de cette vision. Je venais de trouver le tableau, l’écrin, où je photographierai mes « modèles roulants » au gré de leur passage. Il était assez tôt. J’ai repéré mon cadre et je me suis assise sur le rebord d’un muret à regarder la vie de cette rue. J’ai attendu plus d’une heure que les ombres disparaissent. Le soleil de la Havane était sec et rude à la mi-journée. Postée sur le trottoir à plusieurs mètres de leur route, campée en équilibre sur une modeste pierre pour voir et avoir ce trait bleu de la mer, indispensable au décor de leur portrait, je les ai photographiées comme personne ne l’avait fait. La série « Habana’s Old Cars» était née.

La patience semble être la clé de votre travail de photographe. Comment l’être à l’ère du spontané et des photos prises sur le vif, presque frénétiquement ?

Je dirais plus que c’est ma photographie qui appelle la patience… Mes compositions par le réel, cette lumière éphémère dans une journée qui est ma palette de couleurs, le soleil qui va et qui vient, qu’un nuage peut cacher, alors que j’ai besoin de lui pour me dessiner un trait blanc, en contre, sur le contour d’un cyprès en Toscane… Je ne me sens pas particulièrement patiente, mais plutôt concentrée et focalisée sur mon objectif dans la réalisation d’une image souhaitée. Je peux attendre très longtemps et ne rien lâcher.

Ce qui est non pas spontané mais plutôt instantané, c’est ma vision. Quand je trouve mon cadre, mon tableau, c’est un instant qui se rapproche de la fulgurance. Mon œil voit et mon cerveau sait que le cadre sera celui là. Après j’attends très souvent effectivement, que tout ce que je veux, arrive et joue dans le tableau pour ma composition. Parfois ce moment précis ne dure qu’une seconde, le temps d’un unique déclenchement. C’est pour cela que je parle de création par le réel ou avec le réel. Je peux attendre et rien de ce que j’espère ne se passera. Alors je ne déclenche pas et je pars, sereine d’avoir essayé. Et cette photographie non réalisée reste dans ma tête, c’est déjà beaucoup.

Avez-vous un objet fétiche qui ne vous quitte jamais… un bijou, un sac, votre appareil photo ?

Oops, non… Je ne veux pas casser l’image romanesque de la photographe qui a toujours un appareil photo dans son sac. Vous aurez compris que je suis plus proche du peintre que du reporter. Je n’ai pas non plus d’objet fétiche à proprement parler. Quand je pars en voyage photographique, même si c’est à quelques lieux de chez moi, j’ai toujours de la musique. Chacun de mes voyages a une couleur musicale différente qui correspond à l’humeur du moment. J’ai aussi très souvent un livre inspirant, par la vie de son auteur ou par l’histoire du roman. Je suis partie à la Havane avec Le vieil homme et la mer d’Hemingway. Je l’ai relu là bas. Ce n’était plus le même livre.


Où retrouver Véronique Fel ?

Véronique Fel est présentée par :
la Galerie Sarto, 3 rue de Solférino, 75007 Paris.
la Marc BY H & B Gallery, Rue Blaes 32, 1000 Bruxelles.
Les œuvres de Véronique Fel sont limitées à seulement 5 éditions, à la vente.

Laissez une réponse

Your email address will not be published.