Maison récemment fondée autour d’une mode responsable en quête d’équilibre entre la Nature de la Cordillère des Andes et la sophistication parisienne, par Nahir Sarsur, MEUNE est une maison à surveiller de près. Rencontre avec la fondatrice…
Pouvez-vous revenir pour nous sur la genèse de la maison Meune ? Comment fait-on se rencontrer les paysages de la Cordillère des Andes et le style de Paris ?
MEUNE est une label indépendant, responsable, « slow fashion », Mode et Art de Vivre, revendiquant une production locale, raisonnée, dont la singularité repose sur la valorisation des savoir-faire traditionnels d’Amérique du Sud et de la fabrication française.
A mon sens, MEUNE est le fruit d’une quête de réenracinement, d’un ensemble d’expériences, parcours et leçons de vie que j’ai vécu et traversée dans ma vie. MEUNE a été créée naturellement à l’image de mon univers personnel. Il faut donc creuser un peu dans mon histoire pour mieux comprendre.
Je vois le jour en Argentine en 1989 dans un petit village nommé Carhué, ville de la province de Buenos Aires, qui signifie en langue Mapuche (peuple autochtone des Andes) « Lieu Vert ».
La Nature était centrale dans mon enfance. C’est mon terrain de jeu : je vis entre le « campo », propriété rurale familiale où règnent chevaux et vaches, mes vacances au ski dans la Cordillère des Andes et des weekends à Epecuén, ville fantôme tout près de mon village, cité engloutie, ravagée par les eaux.
Je prends donc conscience dès mon plus jeune âge de la beauté, de la puissance, mais aussi et surtout de la fragilité de la Nature.
Contrainte de rejoindre Buenos Aires pour y poursuivre mes études supérieures, je découvre les dérives ultra consuméristes de mon pays qui connaît alors un boom économique sans précédent. Je ne me reconnais pas dans cette frange de la population dont les valeurs et les priorités sont aux antipodes des miennes.
Une fois diplômée je comprends que je ne suis pas à ma place. Mon esprit créatif qui a toujours été là d’une façon ou d’une autre, se manifestait de plus en plus. Je me suis rendue compte que je n’états pas du tout épanouie, et à quel point il était important pour moi de créer. Pour cela il me fallait faire un changement radical dans ma vie, explorer des nouveaux horizons, et repartir de zéro.
C’est durant l’année de mes 24 ans, que je ressens le besoin de voyager et décide de partir seule pour l’Europe, je passe quelques mois en Allemagne et découvre les avancées de ce pays en matière de développement durable. Je pars ensuite quelques mois en France, à Paris, où je ferai une rencontre qui changera mon destin, avant de repartir pour l’Argentine.
C’est à ce moment-là que je ressens le besoin irrépressible de renouer avec mes racines et avec la Nature, mais aussi avec ceux qui la comprennent le mieux : les peuples autochtones d’Amérique du Sud. Je pars seule à la rencontre de ces communautés du Nord (Quechua, Aymara, Kolla) et du Sud (Mapuche, Tehuelche) de l’Argentine en Patagonie, du Chili et du Pérou. Je prends conscience de la richesse de leur patrimoine culturel et de leur savoir-faire artisanal, tout en mesurant combien leur vie en communion avec la Nature résonne en moi comme une évidence.
Je comprends que le sens de ma vie est dorénavant lié à la sauvegarde du Patrimoine Culturel et Naturel de mon pays.
Une histoire d’amour qui avait commencé quelques mois auparavant en France me fait retourner à Paris où je décide de m’installer. Pendant plus de sept ans je me suis imprégnée de cette culture, nouvelle et challengeant pour moi. Durant tout ce temps j’ai pu réfléchir, étudier, planifier et travailler pour pouvoir mener à bien ce combat de sauvegarde du patrimoine culturel et naturel de l’Argentine. Mais cette fois-ci avec un regard nouveau et diffèrent, dans lequel Paris demeurait désormais une partie essentielle de mon univers. Je commence l’aventure de MEUNE en 2019.
D’où vient le nom “Meune“ ? Que signifie-t-il ?
MEUNE c’est un mot composé en espagnol qui signifie « ce qui me lie ». Il trouve tout son sens dans le combat que je mène avec ce projet et le travail que nous faisons avec les communautés des femmes artisanes de mon pays.
D’une manière inconsciente ou pas, je me suis imprégnée depuis mon plus jeune âge de la culture Mapuche dans laquelle mon village d’enfance, Carhué, a ses racines et a irrigué mon esprit, enraciné mes futurs combats.
Les Mapuche sont un peuple autochtone des Andes en Patagonie rebelle et résistant, mais réprimé depuis la nuit des temps. Vivant entre l’Argentine et le Chili, avant que la colonisation Espagnole ne vienne bouleverser cet équilibre naturel qu’ils entretiennent avec la Nature et leur communauté.
Le lien social communautaire repose sur des entrelacés d’échanges réciproques de biens et de services à tous les niveaux, faisant de ces échanges des marqueurs identitaires aussi déterminants que la langue, la religion ou le territoire.
Les femmes jouent un rôle majeur dans la préservation et la transmission du patrimoine ancestrale. Gardiennes d’un savoir-faire ancestral, elles transmettent aux nouvelles générations leur savoir-faire et connaissance poussée de la nature qui fournit les matières premières nécessaires aux créations : la laine, les fruits, les feuilles et les fleurs utilisés pour les teintures scellent une coopération féconde et sacrée avec Ñuke Mapu (« la Terre Mère »).
MEUNE est une quête qui nous lie, et qui aujourd’hui nous réunit pour trouver un moyen de continuer à faire vivre leur culture d’artisanat et leur identité.
Où puisez-vous l’inspiration pour créer vos collections ?
Avec MEUNE je souhaite embarquer les adeptes dans un voyage symbolique transatlantique où Nature, Humanité et Culture sont célébrées et racontées pour que jamais elles ne soient malmenées ni oubliées.
Quand je me lance dans le création d’une collection je sais qu’en premier lieu je me nourris des rencontres, des découvertes et des expériences vécues tout a long de mon histoire. Je suis une personne inépuisablement curieuse, qu’analyse et scrute son environnement constamment.
Je peux dire donc, que je trouve tout ce qui m’entoure comme une source d’inspiration. Je cherche aussi du sens dans tout ce que je fais, cela me permet de mieux cadrer mon élan créatif et de suivre un fil conducteur.
Mon amour pour l’art, l’histoire, la philosophie et l’anthropologie jouent un rôle central pour trouver l’inspiration, surtout lorsque je suis très peu inspirée, et c’est un catalyseur infaillible pour me permettre de retrouver mon esprit créatif.
Nous venons tout juste de lancer la premier collection automne-hiver 2022/23, RÉMANENT
« Ce qui subsiste après la disparition de la cause. »
RÉMANENT est une ode aux patrimoines naturel, culturel et ancestraux andins qui relient le monde d’hier et d’aujourd’hui, pour éclairer celui de demain. Les vestiges des vies antérieures et leurs identités manifestes inspirent notre avenir. Dans un monde de plus en plus chaotique, la renaissance des communautés s’inscrivant dans la bienveillance, l’entraide et l’équilibre entre les êtres humains, et avec la nature, résonne en moi comme une évidence.
Certainement mon inspiration est également nourrie plus profondément par les paysages naturels extraordinaires de l’Argentine, son histoire et son univers, ainsi que l’histoire et les combats que mènent les femmes au sein des communautés autochtones et les piliers de la « cosmovision » (vision du monde) que je partage avec eux.
Je crée des pièces d’exception qui racontent une histoire, porteuses des messages d’espoir ainsi que des réflexions profondes sur notre place dans le monde. L’inspiration se trouve aussi, essentiellement, dans le message que je souhaite transmettre.
La création des pièces d’exception upcyclées ou tranformées, comme celles que nous proposons chez MEUNE, requièrent un effort qui nécessite un grand investissement de temps et de créativité afin de stimuler et de repenser le cycle de la mode. Cela signifie réutiliser des matières et des textiles qui ont été mis à l’écart pour leur donner une nouvelle finalité, une nouvelle forme et un nouveau sens.
Justement… Comment envisagez-vous les tendances avec cette exigence contemporaine à réduire la production ?
Je suis convaincue que nous sommes entrés dans l’ère du sens. A tous les niveaux, la plupart d’entre nous, sommes amenés, même obligés parfois, à trouver du sens dans ce que nous faisons pour nous sentir plus ou moins épanouis. Cela est d’autant plus vrai pour notre façon de consommer, le besoin de revenir à des valeurs essentielles aujourd’hui fait tout son sens, et les marques devront y répondre avec tous les challenges que cela impose.
C’est pour cela qu’à travers mes créations et leur sens, je souhaite inviter les gens à prendre le temps de se poser les questions les plus essentielles en tant qu’êtres humains. MEUNE est avant tout un voyage, un message, une pratique et un mode de vie. Un ancrage culturel, d’artisanat et d’héritage fort mène notre démarche responsable d’économie circulaire et de solidarité, en valorisant le savoir-faire ancestral andin et français.
D’une part, MEUNE utilise une pratique consistant à utiliser des stocks morts, des tissus en fin de vie ou des vêtements finis comme base à adapter pour créer de nouveaux produits qui se distinguent de leur ancien aspect : une méthode communément appelée “upcycling”.
La transformation des vêtements est fondamentale pour son éthique. Elle marque un engagement déterminé en faveur de la circularité dans les réseaux de l’industrie de la mode, englobant l’approvisionnement en tissus, le processus de conception et la production de nos collections au cœur de Paris.
La transparence fait aussi partie des challenges de l’industrie, surtout pour les plus grandes marques, principalement dans luxe, car cela touche le cœur de leur univers dans lequel le mystère joue un rôle central, mais cette opacité dans la chaine de valeur devient de plus en plus désavantageuse.
Pour moi c’est naturel et même avantageux de communiquer les détails de notre mode de production. Il y un grand effort collectif fait dans la création que ce soit des vêtements ou de n’importe quel produit. Cela permet aussi d’éduquer les gens, chaque produit incarne une valeur intrinsèque, surtout dans l’artisanat, où nous donnons une forte valeur ajoutée au travail des tisserandes et des couturiers.
Chaque pièce d’exception créée par MEUNE porte une étiquette qui précise la matière utilisée, ses origines et le lieu de sa fabrication. Je sélectionne soigneusement les matières, avant de les envoyer à notre partenaire fabricant qui produit nos collections. L’atelier est situé à Paris et soutien courageusement les créateurs indépendants et cette façon responsable de produire des vêtements.
Je travaille aussi avec des peuples autochtones d’Amérique du Sud pour mettre en avant et revaloriser leur culture et savoir-faire ancestral du tissage artisanal. Je me rends deux fois par an en Argentine pour rendre visite à ma famille et dédie une partie de mon voyage à rencontrer des tisserandes des communautés autochtones qui souhaitent collaborer avec nous.
Je cocrée avec ces femmes les pièces qui viendront par la suite sublimer mes créations. Je respect cette collaboration, je ne négocie pas avec les artisanes et accepte sans condition la valeur ainsi que les délais de production impartis qu’elles proposent pour leur travail.
Quelles sont les pièces iconiques de Meune ?
Tous mes créations incarnent, à part entière, l’univers de MEUNE. Néanmoins, LONKO, notre pantalon taille haute en laine fluide, est notre pièce emblème.
A mes yeux, LONKO représente un guide de retour aux sources. La revendication et la sauvegarde de son identité. La protection de la terre, la dignité et le courage de se battre pour exister. « Lonko » (Cacique) en langage Mapuche « Mapudungun », représente la plus haute autorité de la culture Mapuche, il dirige le destin de la communauté à laquelle il appartient. Le motif tissé sur la ceinture du pantalon est celui utilisé sur les vêtements de cacique dans la communauté Mapuche.
Je me suis inspiré de l’uniforme de “Gaucho” argentin pour créer cette pièce. C’est la “bombacha gaucho” qui représente le vêtement par excellence du gaucho de la pampa argentine. Il s’agit d’un ample pantalon, plissé au niveau de la taille. Une de ses caractéristiques majeures, qui a contribué à son succès auprès des cavaliers, est sa largeur au niveau des cuisses, très confortable pour monter à cheval, puisqu’elle ne contraint en rien les mouvements des jambes. Au départ, les tissus pour les confectionner, étaient importées de France. Les premiers tissus importés au milieu du XVII siècle étaient aux couleurs militaires françaises : gris perdrix, blanc cassé ou beige. À la fin du XVII siècle des ateliers nationaux de tissu ont varié leurs modèles et couleurs pour les adaptées aux occasions ; noir pour un enterrement, blanc pour les fêtes traditionnelles.
Notre pièce emblème exprime sa personnalité en alliant caractère et élégance a l’univers utilitaire de MEUNE. J’aime son côté flatteur, versatile et durable. C’est un pantalon taille haute à l’allure tailleur avec un tombé soulignant la silhouette, présenté en sergé de laine fluide. Se distingue par une coupe cigarette, des pattes boutonnées aux chevilles, deux poches avant à rabat plaquées ainsi que deux poches arrière passepoilées. Sublimé par notre ceinture iconique en laine tissée à la main par des femmes Mapuche dans les Andes, en Argentine.
LONKO est actuellement proposé en deux versions différentes, avec ceinture en laine tissée couleur Petrified Oak ou Kombu Green. Ce pantalon pourra être associé à notre surchemise KALH pour un look iconique.
Quels sont les projets à venir de la marque ?
Nous avons beaucoup de projets qui arrivent, notamment pour le développement à l’international, mais je ne peux pas tout dévoiler pour le moment !
Cependant, j’ai une super nouvelle à vous annoncer en exclusivité ! Nous venons tout juste de lancer notre première Collection Capsule FW22/23, ce qui nous a permis d’obtenir la certification « Fait à Paris » délivrée par la ville de Paris.
Ce label va nous permettre de pouvoir présenter nos pièces dans les principaux magasins parisiens et de participer à plusieurs concours et festivals importants de talents de mode en France et à l’étranger à partir de l’année prochaine.
J’ai tellement hâte de voir nos pièces d’exception et le travail des artisans de mon pays exposées dans les défiles et les vitrines de la capitale de la mode !
Où peut on vous retrouver ?
La Capsule FW22/23 est désormais disponible en précommande, vous pouvez y accéder et la découvrir via notre boutique en ligne.
Assurez-vous de suivre toutes les nouveautés et actualités de la marque via nos réseaux sociaux, Instagram et Facebook. Nous avons aussi un Blog où vous trouverez des histoires extraordinaires d’ici et d’ailleurs ; des articles sur l’histoire de la mode ; des réflexions sur notre rôle dans la mode et sur ce que signifie être éthique et responsable aujourd’hui ; des conseils et le partage de ressources.
Je vous attends !
Propos recueillis par Sébastien Girard
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