INTERVIEW : Michel Haillard, Créateur d’Univers

INTERVIEW : Michel Haillard, Créateur d’Univers

Baroque, unique, originel, spirituel, fantasque, poétique… Michel Haillard design des meubles comme des objets appartenant et filant un univers à part entière. Créatif, et avec un œil le faisant apprécier les objets oniriques, et dignes d’entrer dans les grands cabinets de curiosité, Michel Haillard imagine à son tour des objets d’intérieur qui transportent vers des mondes fantasmés. Des meubles que l’on retrouve dans des hôtels non moins oniriques, comme le SLS Hôtel par Philippe Starck. Rencontre avec ce touche-à-tout qui a fait du design sa matière première !

Qu’est-ce qui vous a mis sur la voie du design ?

Disons que mon travail s’inscrit dans une voie totalement opposée au design, du moins dans sa définition première:une épuration des formes et matière en vue d’une adaptation à un processus de production industrielle.J’ai plutôt suivi un chemin poétique jalonné par les rencontres d’objets, de personnes, de circonstances .Il était une fois un terrain vague situé juste à coté de mon atelier dans le quel je créais des dessins animés et des sculptures mouvantes (dans le sillage de Tingely). En rentrant un jour, je vis un fauteuil abandonné y trônant au milieu.Un fauteuil Henry II/Louis XIII bien défoncé aux dragons sculptés et pieds chantournés qui semblait m’appeler.La semaine suivant, il devenait mon premier trône.

Michel Haillard, pouvez-vous revenir sur votre univers créatif ? Comment définiriez- vous votre vision ?

Ma voie est de raconter des histoires avec l’ambition de partager mon imaginaire, et plus encore: d’emporter le spectateur dans le jeu jusqu’a ce que lui même livre le siens; en bref d’établir une relation qui va recruter ce que nous avons en commun, notre patrimoine humain..et animal.En bref tout cela participe à un scénario qui a comme pitch de faire vivre une civilisation imaginaire, une Tribale Poursuite quoi!

Quel serait justement votre processus créatif ?

En allant chercher et assembler des objets et matériaux qui possèdent une forte énergie, soit parce qu’ils ont appartenu à un être vivant soit parce ils ont été utilisés avec une forte intention, comme les outils, armes, grelots etc..L’assemblage de ces objets et matériaux nous donne au final la somme de ces énergies que se dégage, indépendamment de sa forme, c’est magique! une porte vers un autre univers.Pour obtenir cela il ne faut pas tricher, utiliser de vrais matériaux et écouter son intuition.

Michel Haillard vos objets ont toujours un twist qui étonne et amène vers l’inattendu… Est-ce important pour vous de faire se rencontrer les contraires ?

Très bien observé, il est à la fois très important pour moi de respecter les affinités,  tant plastiques que signifiante, des différents éléments, assurant ainsi une cohérence à l’oeuvre (même si elle est pour le moins subjective) et essentiel d’y apporter, disons une cerise sur le gâteau, un élément, une partie qui vienne brouiller les pistes, qui vienne sortir la pièce du catalogue dans lequel il pourrait être enfermé » c’est un objet africain? mais non regardes il n’y a pas de feuilles d’acanthe en Afrique, pas de kangourou non plus- alors quoi, je ne sais plus donnes moi un aspirine!”

Parlez-nous un peu de vos collaborations avec Philippe Starck ou encore Alberto Pinto ?

Plus Philippe Starck avec qui je collabore depuis plus de 25 ans.Lui aussi est un assembleur quand il travaille sur ses projets d’agencement.Il a l’immense talent de, pour vous paraphraser, faire rencontrer les contraires , provoquer la surprise à un niveau incroyable.Et je suis très fier qu’il choisisse mon travail pour prendre une place que je n’aurais pas imaginée, souvent à la fois en contrepoint et en symbiose, dans un univers unique. En fait nous avons fondamentalement quelque chose de commun dans notre façon de nous exprimer artistiquement.

Quel est pour vous le designer le plus iconique de l’histoire ? La pièce de design la plus parfaite ?

Celui qui me vient instantanément est Carlo Bugatti, le premier à ma connaissance à avoir oeuvré toute sa vie à créer un monde.La pièce de design la plus parfaite? la corne de koudou.

Vous vous installez aux Puces de Saint Ouen, haut lieu du design international. Que représente pour vous ce mouvement dans votre carrière ?

C’est un juste retour aux sources, après des années de chine, de chasse à l’objet en brocante , il m’est apparu sensé de passer de l’autre côté du miroir.D’une part faire partie des marchands qui m’ont beaucoup apprécié et aidé dans ma démarche en me nourrissant de leur découvertes et leur passions et d’autre part m’ouvrir au grand public directement, rencontrer et surprendre, communiquer et m’enrichir, au minimum d’émotions et de projets, m’ouvrir à l’insoupçonnable .

Vous êtes un « Créateur d’univers » – comment raconte-t-on des histoires avec des objets ? Ou plutôt quelle histoire racontez-vous avec vos objets ?

 Je pense avoir répondu en partie à cette question, assembler des objets qui n’étaient pas sensés se rencontrer au regard de leurs origines ou de leur nature intrinsèque, c’est un peu être Dieu, du moins le Dieu de cette tribu qui n’existe que par ma créativité.Il arrive pourtant souvent(toujours?) que le résultat dépasse l’attendu, que l’oeuvre soit douée d’une vie propre due  à une alchimie improbable  voire magique qui m’échappe et là c’est elle qui me raconte une histoire;

Quelle serait la civilisation imaginaire dans laquelle on peut s’immerger dans votre boutique des Puces de Saint Ouen ? 

Elle sera forcément nourrie par son environnement. D’une manière très pragmatique, avant de m’installer aux Puces, je passais mes week end à chiner un peu partout, a happer l’élément qui allait enrichir le trésor dans lequel je puise quotidiennement . À présent je suis dans mon stand et ai conséquemment réduit mon terrain de chasse direz vous? mais non réponderai-je! immergé dans cette pépinière la profusion vient à moi, un jardin véritable d’Eden. Néanmoins ce qui en sortira sera sans nul doute dans la continuité de ma Tribale Poursuite en constant renouvellement depuis plus de 30 ans. Vous faites se rencontrer les époques et les goûts… notamment dans une de vos pièces, un fauteuil Napoléon III recouvert d’une peau de bête zèbre.

Que recherchez-vous dans ces fusions improbables ? Comment se prépare une telle pièce avec la conscience écologique actuelle ? 

Le sofa que vous décrivez illustre la réponse précédente car il s’agit du premier achat fait à peine installé à mon voisin immédiat, un canapé qui m’avait séduit malgré son tissus d’un gout discutable.Je l’ai néanmoins aussitôt imaginé paré d’une belle peau de zèbre , comme une évidence, comme quoi la notion d’improbable est subjective!Il y a une chose que nous n’avons pas évoqué, mon rapport à l’animalité et par conséquence au règne animal.Mon propos est de mettre en évidence que nous être humain faisons partie de la Nature, en totale opposition avec tous les mouvements transhumanistes dont l’idée est de tenter de réparer les erreurs de la nature, comme si nous n’en faisions pas partie.Je cherche par mon travail à mettre en lumière ce qui nous relie à notre humanité et notre animalité, au végétal et au minéral.Nous sommes une illusion dans un univers d’atome reliés par l’énergie (et d’ailleurs dans cette optique , ma tribu imaginaire a autant de réalité que celui que décrit BFM TV).Si j’utilise des matières animales, c’est avant tout pour honorer ce règne, redonner une chance à ces vies de renaitre autrement et susciter les émotions qui nous font reconnaitre comme frères et non comme prédateur. Nous sommes des animaux soit disant évolués , victimes de notre conscience, de nos peurs qui nous font scier la branche ou nous sommes perchés.j’essaie de provoquer une lucidité, éclairer notre être sous un autre angle que notre image sociale en recrutant notre fantaisie enfantine, notre imaginaire voire notre humour. Nous sommes loin du débat écologique auquel j’adhère tant qu’il n’est pas dogmatique.

D’ailleurs contrairement à ce qu’on pouvait attendre, j’ai très très peu de réaction épidermiques négatives du public international des Puces

A l’heure où on se tourne de plus en plus vers une abolition de la frontière entre vie privée et vie publique — quel est pour vous le rôle d’un designer d’intérieur ?

Je comprend que vous voulez parler de la place grandissante des réseaux sociaux dans notre quotidien? je répondrai que la carte n’est pas le territoire, l’image n’est pas la réalité.Le manque de sens de leur vie enclin certain à se mettre en scène pour paraître à la hauteur de ce qu’ils voudrait être, ainsi l’image se substitue à la réalité .Il en est de même du designer d’intérieur qui, selon un de mes professeurs, ne devrait pas exister si les gens se penchaient vraiment sur la question de leur intérieur.Le rôle de ce professionnel, que je ne suis pas, est dans mon esprit, d’aider ses clients à se comprendre eux même, de révéler ce qui à du sens pour eux, plus la réponse est profonde, meilleur est le professionnel et c’est avec eux que je travaille.

Pensez-vous un jour vous lancer dans le Web 3, et les metaverses avec vos objets qui, je pense, trouveront leur place dans ces univers oniriques ?

Pourquoi pas, les perpectives sont enivrantes, nous entrons dans une autre hère; l’IA nous embarque sur des terrains jusqu’alors inconcevables sans drogues psychotropes, repoussant parfois les limites de l’imaginaire en construisant des mondes , des meta univers. Pourtant, pour le moment, il me manque quelques sens dans ces démarches: le toucher, l’odorat, le gout qui me sont nécessaires. De la vieille école, je préfère la résistance du crayon sur la papier, la tache involontaire de l’aquarelle sur un dessin à la gestion des calques sur Photoshop .Un ami a récemment entré les paramètres de mon travail dans un logiciel d’IA , le résultat fut intéressant mais d’une froideur inhumaine à l’opposée de ma démarche, à suivre.