La Fontaine Duchamp est connue dans le monde entier pour être l’archétype du tournant ready-made, Fontaine est l’œuvre clé de Marcel Duchamp. Une pièce qui a bouleversé l’art et ses notions mêmes.
Fontaine, L’Idée De Marcel Duchamp
Exposée pour la première fois en 1917, Fontaine constitue l’entrée de l’art dans sa conception contemporaine. Un urinoir devenu une oeuvre d’art, sans norme ni canon esthétique.
Un Ready-made…
Marcel Duchamp, formé à la peinture classique, a très vite trouvé ami et affinité intellectuelle dans les mouvements de son époque. Le Cubisme, Dadaïsme, le Futurisme puis le Surréalisme… Si Marcel Duchamp pense toujours par-delà de ces mouvements artistiques, il n’en reste pas moins influencé par leur approche novatrice et leur démarche à contre-pieds de toutes les conventions.
Figure de proue avant-gardiste des années 1910, c’est une fois émigré à New York, avec Francis Piccabia, qu’il met un nom sur une démarche initiée lorsqu’il vivait encore à Paris. Cette démarche, nommée « ready-made », capture l’essence du travail de Marcel Duchamp.
Il faut dire que Marcel Duchamp est en phase avec son époque. Une époque où l’industrie florissante créée de nouveaux objets. Avions, bateaux, moteurs… On reporte qu’en 1912, alors qu’il se trouve au Salon de la locomotion qui se tient au Grand Palais, Marcel Duchamp aurait dit, à la vue d’une hélice : « C’est fini la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ? »
Parmi les ready-mades iconiques, on connait évidemment les premiers que furent le Porte-bouteille (1919) ou encore la Roue De Bicyclette (1913). Mais c’est par Fontaine que va venir la déflagration du monde de l’art, et ses conventions.
Comme nombre de ses objets “already-made“, Fontaine est un ready-made fondé sur l’utilisation objet banal. Ici un sanitaire somme toute sans intérêt. Acquis dans un magasin de plomberie et de sanitaires de la société J.L. Mott Iron Works, à New York, l’urinoir devint Fontaine.
Mais là où l’on explique que Marcel Duchamp a présenté cet urinoir en signe de provocation à la définition de l’art, il y a autre chose… Le but de l’urinoir n’était pas tant de heurter le bon goût bourgeois, mais de piéger les artistes qui se pensaient alors tolérants, ouverts d’esprit et libéraux. Les artistes de la Society of Independant Artists.
Toujours Très Controversé
En 1917 se tient à New York le premier salon de la Society of Independant Artists, dont Marcel Duchamp est l’un des membres directeurs. Ce salon se veut ouvert à tous, « sans prix ni jury »; de fait, sans attente esthétique.
Quelques années auparavant, ce même Salon des Indépendants de 1912, cette fois tenu à Paris, avait refusé le Nu Descendant Un Escalier de Marcel Duchamp. Et, tout porte à croire que Duchamp veut tenir une sorte de revanche sur leur ouverture d’esprit autoproclamée…
En 1917 donc, il intègre au catalogue l’œuvre Fountain, sous le no 345. Mais l’œuvre signée « R.MUTT. 1917 » est reléguée hors de l’exposition. L’urinoir présenté au comité d’accrochage ne passe pas. On le juge contraire aux bonnes mœurs, et la blague n’a nullement sa place dans cette exposition.
Marcel Duchamp démissionne, après l’annonce de la décision. Mais très vite, l’affaire fait le tour du monde, dans les journaux… Le débat est né, les discussions sont nourries: est-ce une œuvre d’art ?
L’œuvre la plus controversée du XXe siècle vient de faire entrer l’art dans un nouveau champ des possibles… En réalisant par là même le souhait de Duchamp, celui de provoquer le débat, et d’interroger les préconceptions attachées à l’art.
Il avait lui-même détaillé sa démarche dans le catalogue, sans dévoiler qu’il était en réalité Mr. Mutt, le célèbre fabricant de sanitaires : « Que Mr Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non est sans importance. Il l’a choisie. Il a pris un article courant de la vie quotidienne et l’a placé de telle sorte que sa signification utilitaire disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue – il a créé une pensée nouvelle pour cet objet. »
L’œuvre Fontaine disparaît avec le temps… Enfin jusqu’à reproduction approuvée et réalisée en 1951 puis en 1964 par Duchamp, sur demande pour des expositions à New York puis à Milan. Dix-sept exemplaires faits main, commandés à un céramiste italien.
Ainsi reproduite, Fontaine abat une autre frontière de l’art — son unicité, et son concept d’originalité. Originale, la reproduction approuvée et réalisée que l’on peut voir au Centre Georges Pompidou ne l’est peut-être pas… Mais c’est une œuvre d’art.
Fontaine Et L’Art Contemporain
Fontaine est aujourd’hui considérée comme l’oeuvre la plus influente du XXème siècle. Il est vrai qu’on peut y voir la première des audaces artistiques de l’art contemporain.
La Transgression Devient La Norme
Avec Marcel Duchamp, la transgression devient dès lors la norme de l’art contemporain. Qu’a-t-il fait en réalité? Avec Fontaine, Duchamp s’est appuyé sur un objet utilitaire, un brin vulgaire et, en le signant et le datant, une fois placé dans un contexte d’exposition… Fontaine est devenue une œuvre d’art.
Provocateur de la pensée avant d’être un simple trublion, Marcel Duchamp a en effet posé l’intention de l’artiste au-delà de toutes autres attentes. Et parce que l’art a de tout temps été instrumentalisé par des institutions, qu’elles soient politiques, sociales ou religieuses, voilà que Duchamp pose l’artiste en arbitre de ce qui fait ou non une œuvre d’art.
Et si un urinoir en faïence blanche peut être perçu comme une œuvre, c’est qu’il provoque l’esprit, et la réflexion. Il pousse le spectateur à voir au-delà de ce qui lui est donné de prendre pour de l’art. Une sorte de travail sur l’esprit critique qui, évidemment, a conduit aux audaces contemporaines les plus controversées.
L’Influence Sur Le Pop Art
L’influence de Fontaine sur le Pop Art d’abord, puis sur tous les autres mouvements artistiques se revendiquant révolutionnaires est cruciale. Attendre de l’art ce qu’il ne nous donne pas, c’est sans doute la trame qui habite toujours le rapport entre artistes et “regardeurs“.
Ainsi, lorsque Andy Warhol fit déferler ses œuvres pop art sur le monde, on peut aisément penser qu’il poursuit le travail de Duchamp. L’iconique toile de la soupe Campbell, transforme une boite de soupe qui s’entasse dans les cuisines des Américains, en œuvre d’art…
Une volonté d’abolir les frontières entre l’art et le commun, entre l’artiste et l’homme… Une volonté de briser l’admiration et de désacraliser l’art. Selon les mots de Duchamp lui-même, le Pop Art va vers la bonne direction.
« Le Pop Art est un retour à la peinture « conceptuelle », pratiquement abandonnée, sauf par les surréalistes, depuis Courbet, au profit de la peinture rétinienne… Si vous prenez une boîte de soupe Campbell et la répétez 50 fois, l’image rétinienne ne vous intéresse pas. Ce qui vous intéresse, c’est le concept qui vise à mettre 50 boîtes de soupe Campbell sur une toile. »
Il est ainsi difficile de saisir l’influence de Fontaine sur l’art contemporain si l’on ne comprend pas les gestes d’un Maurizio Cattelan ou des Young British Artists comme des questionnements sur le rapport encore trop conventionné que l’on a du beau, du vrai, du sublime. En cela, Fontaine a cherché à tout envoyer valser.
Mais, comme le confie Marcel Duchamp, le fait que l’on admire Fontaine dans un musée, prouve qu’il a échoué. « Le fait qu’ils aient été traité avec la même révérence que des objets d’art veut probablement dire que j’ai échoué à résoudre le problème d’une tentative de sortir complètement de l’art. »