C’est une histoire aussi vieille que le monde : l’art comme témoin des horreurs de l’humanité, ou encore, l’art comme outil salutaire des âmes trop sensibles. Ainsi Yue Minjun, artiste Chinois, s’inscrit-il dans cette histoire à travers une pratique verrouillée donc inspirée. En 1995, l’homme introduit ainsi The Execution : hommage au Tres de Mayo de Goya, plongé cette-fois ci dans le décor de la Cité Interdite, histoire occultée par le Parti Communiste Chinois. Si Minjun emprunte à Goya ou encore à Velasquez des coups de pinceaux étirés et aiguisés, c’est pour mettre en lumière la détresse contemporaine – celle d’un peuple, d’une humanité si emprunte à la violence, à la censure, qu’elle n’a, peut-être, sûrement, que le rire pour échapper à cette brutalité ! Ici donc, L’Exécution dépeint quatre condamnés et quatre bourreaux, partageant un même visage et un même rire ; un même rire fou.
Mais Minjun est un artiste qui se veut “léger” – pop et ironique comme jamais. Ces toiles fleurtent avec les principes de la caricature ; parfois, les couleurs vives et les traits burlesques achèvent d’insuffler une dimension comique au drame qui se joue sur la toile. Selon Yue Minjun « … quand on voit quelqu’un qui rit, on pense en premier lieu qu’il est content, mais si on observe minutieusement, on va trouver d’autres choses. » Ses peintures souvent rappellent la face riante du Bouddha, tandis que le théoricien Li Xianting se plaît à décrire ces autoportraits comme « une réaction auto-ironique au vide spirituel et la folie des temps modernes en Chine. » Ainsi, ses toiles lui ont valu d’être classé dans le courant artistique chinois du réalisme cynique – une catégorie que Yue Minjun ne reconnaît guère. Pour lui : « Le fait de sourire, de rire pour cacher son impuissance a une grande importance pour ma génération » et d’ajouter, à propos de L’Exécution « Cette peinture exprime mes sentiments, ce n’est pas une critique. » En réalité, lorsque le tableau a été vendu en 1995 à un collectionneur anonyme, par une galerie de Hong-Kong, une des conditions de la vente imposait de ne pas montrer l’oeuvre en public, sous peine de mettre l’artiste en danger.
Yue Minjun avait alors tenu à prendre ses distances quant à la thématique de l’œuvre. « Je ne veux pas que le public pense à un lieu ou à un événement » avait-t-il dit à CNN avant de nier que le mur rouge dans le fond de sa peinture soit celui de la Cité interdite, sur la place Tiananmen. Ainsi, le projet artistique de Minjun doit être éclairé à l’aide d’un prisme tantôt surréel, tantôt saugrenu ; un prisme où la gaieté se mêle au drame, comme l’on passe du rire aux larmes. D’ailleurs, The Execution repose sur un plaisir déformé, une scène qui ne dit pas son nom : personnages arborant une peau d’un rose vif surréaliste, le malheur de la scène se laisse deviner, tant, peut-être, la violence est ancrée dans la mémoire collective. En effet, rien, si ce n’est le titre, ne laisse présager l’exécution de ces hommes. Couronné par les 4,2 millions d’euros chez Sotheby’s à Londres, en 2007, Yue Minjun s’est trouvé ainsi une place d’exception sur le marché de l’art. Rire pour ne pas pleurer, ou The Execution, s’ancre donc avant tout autour d’un sentiment aussi primordial qu’universel : « La joie est un sentiment acceptable par tout le monde. Bien-sûr, lorsque l’on regarde mes tableaux assez longtemps, on sent que ce sont des expressions de tristesse ou de douleur. »
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